#LVME#02 l S.O.S Plombier

SOUS-SOL stratégique : Un grand local avec d’abord deux pièces en enfilade et une petite sur le côté, l’ancien WC désaffecté d’un bistrot des années vingt qui sert pour stocker les vieux trucs. La chaufferie a été installée en 74 dans la première salle côté cour, orientée plein sud. Deux énormes cuves de fuel, l’une rouge brun, l’autre vert saumâtre, toutes deux un peu rouillées sont superposées l’une sur l’autre. Cela reste inesthétique et vaguement inquiétant.  Système D paternel, sémillant inventeur devant l’éternel… Sur celle du bas, 2500 litres, une tige de cuivre emmanchée dans un bouchon de plastic gris compact mais mou, sert toujours à contrôler le niveau de remplissage de la cuve. Un plein dure longtemps désormais. On est moins frileux que les anciens. Mais l’odeur poisseuse baignant dans l’air ne manque jamais de chatouiller nos narines, elle est bien plus écoeurante à froid. On l’oublie lorsqu’on vaque dans ses parages. Plafond haut et parcouru de gros tuyaux desservant les canalisations du chauffage central. Au premier étage d’habitation une série de radiateurs larges à lamelles gris blanc satiné ont remplacé les vieux radiateurs en fonte. Un gros ballon blanc supervise la chaudière et distribue une eau brûlante qui nettoie tout dans la maison au-dessus. Il est agréable d’entrer dans ce local l’hiver lorsque la flambée invisible ronronne. C’est un endroit confortable pour trier, ranger, évacuer, mais il a changé d’affectation depuis que la famille s’est dispersée. Mélange de garage et d’atelier mécanique traversé par les courants d’air. C’est aussi la place des vélos et des outils de jardin. La cour de terre battue triangulaire laisse pousser ses plantes opportunistes. Ici la canicule est très sélective. L’hortensia et les bulbes de fleurs perpétuelles sont les doyens. L’olivier est devenu un beau jeune homme prêt à défendre son ombrage. La menthe près du chenal d’évacuation des eaux usées reprend ses aises au printemps. On l’a un peu rédimé pour laisser la place à des plantes ornementales de saison ou des aromates. Un minuscule bouddha moqueur veille sur la falaise des plantes grasses. De grosses pierres de rivière et des coquilles St jacques sont posées le long des murs ensoleillés.

Le vieux plombier est mort brutalement d’une crise cardiaque à moins de soixante ans, son épouse secrétaire de mairie me l’a appris il y a quelques temps. J’en ai été consternée. Je voulais l’appeler… Je l’avais vu souvent discuter avec le père près de la chaudière. Les points de fuite d’eau sous la pression étaient récurrents. Ils passaient pas mal de temps ensemble à vanter les mérites de cette installation fiable, malgré ses points faibles. Les tuyaux de distribution allaient jusqu’au deuxième étage dans les greniers. Ils étaient et sont toujours emmitouflés dans du jute et du plastic ficelés comme du saucisson. Encore une ruse pragmatique et masculine que nul n’a songé à critiquer. Le passage inéluctable à la pompe à chaleur et climatiseur nous laisse un sursis.  Le nouveau plombier est serviable mais un peu bourru et expéditif. Comme les nouveaux médecins généralistes, c’est un quart-d ’heure, un rendez-vous, un symptôme ! Son secteur d’intervention est bien sûr trop vaste pour lui et ses pairs. Il vient surtout au démarrage de la chaudière, lorsqu’elle rechigne à maintenir le réglage de pression perturbé par un ou plusieurs problèmes d’étanchéité des joints. La plomberie est un art musicien. Ce sont les bruits qui indiquent le tempo des interventions. Le jeune plombier est sympathique, puisqu’il n’abuse pas de son statut de sauveur.

Le rêve est enfin réalisé. Une vieille maison que l’on peut chauffer facilement en fermant les portes de novembre à février. De l’espace à vivre et à créer au gré des retours et des retrouvailles. Des souvenirs à réinventer. Une mémoire familiale à écrire dans les meilleures conditions qui soient. Le retour à la vie de village où tout se fait à pied ou à vélo. Bien sûr le rêve est précaire puisque l’on ne sait rien de ce qui peut nous arriver. Ce qui est possible à plusieurs est plus difficile si l’on se retrouve seul.e.  Un privilège à ne pas bouder après une vie de travail tournée vers autrui et l’éducation des enfants. Le cœur au chaud est une façon de vivre et de vieillir. Est-ce une affaire de plomberie ou de conviction ?  Georges PEREC ne m’a pas encore révélé sa réponse dans ce texte d’appui qui ne prête guère au poème. Ai-je la nostalgie des feux de bois et des cheminées sans insert ?.

A propos de Marie-Thérèse Peyrin

L'entame des jours, est un chantier d'écriture que je mène depuis de nombreuses années. Je n'avais au départ aucune idée préconçue de la forme littéraire que je souhaitais lui donner : poésie ou prose, journal, récit ou roman... Je me suis mise à écrire au fil des mois sur plusieurs supports numériques ou papier. J'ai inclus, dans mes travaux la mise en place du blog de La Cause des Causeuses dès 2007, mais j'ai fréquenté internet et ses premiers forums de discussion en ligne dès fin 2004. J'avais l'intuition que le numérique et l 'écriture sur clavier allaient m'encourager à perfectionner ma pratique et m'ouvrir à des rencontres décisives. Je n'ai pas été déçue, et si je suis plus sélective avec les années, je garde le goût des découvertes inattendues et des promesses qu'elles recèlent encore. J'ai commencé à écrire alors que j'exerçais encore mon activité professionnelle à l'hôpital psy. dans une fonction d'encadrement infirmier, qui me pesait mais me passionnait autant que la lecture et la fréquentation d'oeuvres dont celle de Charles JULIET qui a sans doute déterminé le déclic de ma persévérance. Persévérance sans ambition aucune, mon sentiment étant qu'il ne faut pas "vouloir", le "vouloir pour pouvoir"... Ecrire pour se faire une place au soleil ou sous les projecteurs n'est pas mon propos. J'ai l'humilité d'affirmer que ne pas consacrer tout son temps à l'écriture, et seulement au moment de la retraite, est la marque d'une trajectoire d'écrivain.e ou de poète(sse) passablement tronquée. Je ne regrette rien. Ecrire est un métier, un "artisanat" disent certains, et j'aime observer autour de moi ceux et celles qui s'y consacrent, même à retardement. Ecrire c'est libérer du sentiment et des pensées embusqués, c'est permettre au corps de trouver ses mots et sa voix singulière. On ne le fait pas uniquement pour soi, on laisse venir les autres pour donner la réplique, à la manière des tremblements de "taire"... Soulever l'écorce ne me fait pas peur dans ce contexte. Ecrire ,c'est chercher comment le faire encore mieux... L'entame des jours, c'est le sentiment profond que ce qui est entamé ne peut pas être recommencé, il faut aller au bout du festin avec gourmandise et modération. Savourer le jour présent est un vieil adage, et il n'est pas sans fondement.

5 commentaires à propos de “#LVME#02 l S.O.S Plombier”

  1. Oui, il y a du conte là dedans. Merci pour l’évocation marquée de la cuve, l’inventivité du père et l’odeur. Beaucoup de similitude et sans votre texte, perdu tout cela dans les oubliettes de la mémoire. J’aime aussi la comparaison entre professionnels du temps d’avant et leurs successeurs. La remise en marche de la chaudière et toujours ce suspense. Merci.

  2. Merci Marie-Thérèse pour ce texte (et un très grand merci pour lundi 18). Il est surprenant de noter comment chacun réagit à certaines parties du texte, chacun l’attrape par un bout en fonction de ses sensibilités. Pour moi, la mémoire familiale, le rêve précaire et surtout plus aisé à plusieurs et plus difficile si l’on se retrouve seul.e résonnent.

  3. Pour vous Brigitte, Anne, Ugo et Khedidja, une réponse en « chanson perce-neige ». C’est comme cela que je nomme ce qui surgit devant mes yeux sans chercher, en lisant vos réactions. J’aime vos mots de rebond, comme des pensées en farandole langagière. J’y lis toutes vos couleurs ! Le texte est de Jean-Roger Caussimon, la musique et l’interprétation de Léo Ferré, elle s’intitule
    NUITS D’ABSENCE

    II est des nuits où je m’absente
    Discrètement, secrètement…
    Mon image seule est présente
    Elle a mon front, mes vêtements…
    C’est mon sosie dans cette glace
    C’est mon double de cinéma…
    À ce reflet qui me remplace
    Tu jurerais… que je suis là…

    Mais je survole en deltaplane
    Les sommets bleus des Pyrénées
    En Andorre-la-Catalane
    Je laisse aller ma destinée…
    Je foule aux pieds un champ de seigle
    Ou bien, peut-être, un champ de blé
    Dans les airs, j’ai croisé des aigles
    Et je croyais leur ressembler…

    Le vent d’été, parfois, m’entraîne
    Trop loin, c’est un risque à courir
    Dans le tumulte des arènes
    Je suis tout ce qui doit mourir…
    Je suis la pauvre haridelle
    Au ventre ouvert par le toro…
    Je suis le toro qui chancelle
    Je suis la peur… du torero…
    Jour de semaine ou bien dimanche?
    Tout frissonnant dans le dégel
    Je suis au bord de la mer Blanche
    Dans la nuit blanche d’Arkhangelsk…
    J’interpelle des marins ivres
    Autant d’alcool que de sommeil:
    « Cet éclat blême sur le givre
    Est-ce la lune… ou le soleil? »

    Le jour pâle attriste les meubles
    Et voilà, c’est déjà demain
    Le gel persiste aux yeux aveugles
    De mon chien qui cherche ma main…
    Et toi, tu dors dans le silence
    Où, sans moi, tu sais recouvrer
    Ce visage calme d’enfance
    Qui m’attendrit… jusqu’à pleurer…

    Il est des nuits où je m’absente
    Discrètement, secrètement…
    Mon image seule est présente
    Elle a mon front mes vêtements…
    C’est mon sosie dans cette glace
    C’est mon double de cinéma
    À ce reflet qui me remplace
    Tu jurerais… que je suis là…

    Il est des nuits, où je m’absente
    Discrètement, secrètement…
    Mon image seule est présente
    Elle a mon front mes vêtements…
    C’est mon sosie dans cette glace
    C’est mon double de cinéma
    À ce reflet qui me remplace
    Tu jurerais… que je suis là…

    https://www.youtube.com/watch?v=1ebAKaE5ZBI&t=29s

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