Ceux-là passent par les rues et les petites voies. Ils s’arrêtent devant toutes les portes. En sandales poussiéreuses, on devine leur pas s’enfoncer dans le sol sablonneux. Ils partent tous deux le matin de bonne heure. Le grand et le plus petit. Il lui tient la main, pour ne pas freiner la cadence. Il en a une cinquantaine à livrer ce matin. Il dit : « Dépêche-toi, on va être en retard à l’école ». L’homme qui passe vit seul avec le petit qui l’aide à glisser les journaux sous les portes. Il connait par cœur le nom et l’adresse des abonnés. Il est , comme qui dirait « attendu », il apporte les bonnes et les mauvaises nouvelles . En plus, il informe les habitants des naissances et des décès qui surviennent dans le quartier à la minute près. C’ est une cheville indispensable à la vie du voisinage. Tout le monde le connaît avec son petit bout qu’il trimballe partout. Les grand-mères l’adorent et gâte beaucoup trop ce p’tit quand elle le voit. Un gâteau par-ci , un bonbon par là. Une petite caresse sur les cheveux. On ne s’intéresse plus aux nouvelles, on regarde s’il a grandi depuis la dernière fois.
Mais, il faut se hâter, il faut aller encore plus vite que les nouvelles. Être à l’heure à l’ouverture de l’ école. Déposer le ptit, se délester de son gros fagot de journaux. Le cœur léger, il ne lui reste plus qu’un maigre cartable , il y a enfoncé son carnet de chroniques. Livreur de quotidiens le matin, journaliste l’ après-midi . Celui qui passe ne s’arrête jamais. Il court toujours, à l’affût de la moindre petite nouvelle qu’il pourrait, lui aussi, rapporter dans ses chroniques. Car, pour lui, pas de différence, tout ce qui se vit , se lit et inversement. Il est payé à la pige et ça fait pas lourd.
Tout le monde le connait ici, à chaque passage, on lui raconte ses petits soucis, on lui fait ses confidences . C’ est comme ça qu’il alimente d’histoires croustillantes le quotidien de ces dames. Il aurait bien peur de se faire étriper par les mères enragées de lire leur ébats et leurs exploits dans ses chroniques, alors il écrit sous un pseudo « l’ enlivreur ». Personne ne se douterait que celui qui passe tous les matins, trainant son rejeton plein d’innocence est le plus rusé des observateurs.
De leurs silhouettes , d’eux , le petit et le grand jusqu’au nom; de l’indéterminé à la nomination même si ce n’est qu’un pseudo qui laisse place au mystère ; j’aime comme tu t’approches d’eux, comme tu révèles peu à peu … et les femmes qui se penchent vers l’enfant, et leurs bribes de mots qui s’épanchent et celui qui livre et délivre …