#LVME #O7 | Garder du vide.

Il faudra nommer. Dans un premier temps, écrire des noms qu’elle ira relever au cimetière du village perché au-dessus de la falaise, pas le nouveau qui est éloigné de l’endroit où vivre où tondre la pelouse où jouer au ballon, un endroit où il faut pour le rejoindre, prendre la voiture, quant l’autre, l’ancien qui n’offre plus de place disponible, tout son dessous la terre occupé, à part une ou deux dans un caveau dont la concession était à perpétuité et ce droit n’existe plus depuis longtemps, depuis qu’ils sont si nombreux qu’il faut changer les règles, les règles et le reste qui change aussi, le vieux cimetière qui était traversé au moins une fois par semaine par tous ceux qui allait à la messe, qui sont de moins en moins nombreux, et la messe sera dite sans curé, elle cherchera les noms de ceux couchés ici, qui avaient vécus en haut de la falaise et pas au bord de la mer et enterrés là-haut avec le fer forgé de leur tombe qui a repris ses droits, ceux de s’exposer brut sans sa peinture blanche qu’on avait veillé des années à renouveler régulièrement et la pierre qui s’enfonce de travers, un de ses angles plus que les trois autres, comme piquer du nez pour un léger roupillon, c’est là qu’il faudra aller lire les noms et écrire ceux qui retiennent son attention. Ensuite pour la distribution, ce sera comme jouer à la dinette et poser devant chaque poupée, poupon ou peluche l’assiette en plastique avec la cuillère, mais avec toujours une préférence, la plus belle ou la plus grande pour Doudou, pour les noms ce sera pareil. Dans les villas aussi, elle a ses personnages favoris. Elle, montant l’allée bordée d’un beau buis sain et elle se demandera comment lui a été épargné, quand tous les autres touchés, rongés par l’insecte et que pour éradiquer la maladie, l’unique solution donnée par le jardinier est l’utilisation de produits interdits que l’on peut encore se procurer sur internent et qui viennent d’Espagne comme les fraises et qu’on ne savait plus si en manger, c’est bon ou mauvais pour la santé et on ne le saura que quand il sera trop tard un peu comme la roulette russe, et les allées transversales si étroites qu’on hésite à y poser le pied, les tombes comme massées, serrées au pied de l’église à demander protection au clocher avec son coq girouette au sommet et son horloge qui a un décalage de cinq minutes pour sonner midi, elle déchiffrera les noms et en notera certains dans son carnet d’une écriture hachée, comme picore une poule tac tac tac, ce grain-là oui, ce grain-là non. À la maison, face à l’ordinateur, elle les posera en liste, les uns en dessous des autres, toute une ligne de vide à côté d’eux, parce qu’il faut garder du vide, qui fait aussi partie de l’histoire, peut-être les replacera-t-elle par ordre alphabétique comme on se familiarise et enfin il faudra bien finir par leur faire des histoires comme leur chercher des poux dans la tête.

Bientôt elle les écrira ici, juste en dessous.

A propos de Anne Dejardin

Projet en cours "Le nom qu'on leur a donné..." Résidences secondaires d'une station balnéaire de la Manche. Sur le blog L'impermanence des traces : https://annedejardin.com. Né ici à partir du cycle«Photographies». Et les prolongations avec un texte pour chaque nom qui dévoile un bout de leur histoire. Avec audios et vidéos, parce que des auteurs ou comédiens ont accepté de lire ces textes, l'énergie que donnent leurs voix. Merci. Voir aussi sur Youtube.

5 commentaires à propos de “#LVME #O7 | Garder du vide.”

  1. Il y a trois jours en rejoignant la forêt par le haut de Taverny il y a un chemin d’ oû l’on domine les tombes; je crois bien que j’ai fait la poule et pioché D Marteau et P Portovski sur la pierre dressée … ( cette histoire entendue dans les mots de Chantal Akerman: un fou qui se prenait pour un grain de blé et qui se dit enfin guérit se trouve pourtant perché dans un arbre: son copain l’interpelle et lui demande ce qu’il fait là haut : oui, je suis guéri mais si la poule ne le sait pas ?) J’aime beaucoup ta déambulation entre les tombes et que les noms restent encore cachés : ce vieux cimetières plein de secrets, d’insectes, d’herbicides ravive les souvenirs . Merci Anne,

  2. Merci Anne. Quelle belle et bonne idée de prendre ces chemins de traverse et les sentes qui nous mènent loin des listes, au plus proche du vrai et de «  la pierre qui s’enfonce de travers ». Merci.

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