#LVME_#01_quelque part
#LVME_#02_angle de vue
#LVME #03 | ce serait une cuisine
#LVME #04 | d’une pièce à l’autre
#LVME #05 | Phospho Guano
#LVME #06 | quelques recoins
#LVME #07 | quartier de la Pallice
#LVME #08 | vue générale
#LVME #09 | chez Augustine
#LVME #10 | faits divers
#boost #00 | 46°09’54’’N 1°13’08’’W 6m
#boost #01 | empreintes
#boost #02 | à la dérobée
#boost #03 | l’indicible
#boost #04 | tenir tête
#boost #05 | est-ce que le cri rêve ?
#LVME_#01_quelque part
On est le 10 juillet 2022 en milieu de matinée. Camille gare sa voiture devant le portail gris, en descend, comme une voyageuse perdue dans un quartier inconnu. Elle lit les différents panneaux d’information accrochés en hauteur. S’approche, recule, voudrait faire le tour du bâtiment mais un grillage l’en empêche. Elle regarde au-delà. Prends un ou deux clichés. Retourne vers le portail à la recherche d’une sonnette.
On est le 10 juillet 2022 en milieu de matinée. Jean et Jacqueline se hâtent vers le marché, tirant leur caddie à roulette. Elle a rangé la liste des courses dans son porte-monnaie à clip, celui qu’elle a conservé de sa mère. Lui, pense déjà aux huitres qu’il achètera pour le déjeuner. Il trouve le quartier changé depuis son enfance, il se le dit chaque dimanche.
On est le 10 juillet 2022 en milieu de matinée.1, 2, 3,4 ! Quatre ricochets. Paul rit. Léa et Vincent se précipite sur les galets pour choisir les plus ronds et les plus plats. Le ciel est parsemé de nuages. Un paquebot est amarré au port. On ne distingue pas la coque, camouflée par le blockhaus.
On est le 10 juillet 2022 en milieu de matinée. Dans sa chambre, Alain a soulevé la couette du lit et l’a déposée sur la rambarde de la fenêtre. Le temps d’aérer il allume une cigarette. Le chat a pris place sur le fauteuil crapaud qu’il a trouvé dans la rue il y a quelques jours. Il regarde les voitures passer sur l’avenue.
On est le 10 juillet 2022 en milieu de matinée. Séverino applique un rose très pâle au-dessus du vert. Ça fait dix ans maintenant qu’il bombe les bâtiments abandonnés. Il a créé un personnage qui habite les vieux murs et les failles. Le barbelé a déchiré le bas de son tee-shirt. Il n’a pas été assez vigilant. La caméra de l’usine de l’autre côté de la rue l’aura sûrement filmé.
On est le 10 juillet 2022 en milieu de matinée. Jean-Claude vient de passer devant les silos, la tête et le bras levés, béret de marin sur la tête et vêtu d’une marinière. Il explique la vie du port. La surveillance de la biodiversité. La spéculation sur le blé. Les alvéoles destinées à cacher les sous-marins pendant la guerre.
#LVME_#02_angle de vue
Il a garé sa fourgonnette sur le parking visiteurs et s’est présenté au poste de garde. Des chaussures de sécurité noires alourdissent son pas. Sa venue était attendue et répertoriée dans le registre des entrées. C’est la troisième fois ce mois-ci qu’il vient régler les caméras de sécurité. Il pianote sur sa tablette tactile, vérifie les paramètres de programmation, ajuste les angles de vue. Deux agents de sécurité le guident. Tous les regards sont tournés vers les cinq écrans alignés les uns à côté des autres. Aucun regard vers l’horizon qui se faufile entre deux bâtiments de stockage cylindriques. A la fin de son intervention, il prendra le temps de manger le sandwich préparé la veille au soir assis sur les rochers.
#LVME_#03_ce serait une cuisine
Ce serait une cuisine étroite dont la fenêtre donnerait sur la rue. Des meubles en enfilade, l’évier posé au-dessus de l’un d’entre eux et une table poussée contre le mur opposé équipée de deux rabats fixés par des chevilles afin de pouvoir la rallonger. Les meubles seraient en simple bois, sans moulures, ni vernis, recouverts d’une simple couche de peinture blanche. Au fond, un meuble prendrait toute la largeur du mur, on y rangerait la vaisselle et les couverts rangés dans un bac en plastique permettant de séparer fourchettes, couteaux, cuillères et petites cuillères. Il y aurait des appareils ménagers mécaniques comme la mandoline dont la cuisinière se servirait souvent pour préparer son gratin dauphinois, souvenir de sa ville d’enfance. Au plafond, un lustre en pyrex agrémenté d’un tournesol. Sous l’évier une bassine, la serpillère et la poubelle.
Ce serait une cuisine carrée dont la fenêtre donnerait sur le jardin, comportant une ouverture arrondie ouvrant sur la salle à manger pour passer les plats. Les meubles seraient en bois vernis, travaillés de moulures en biseau. Un carrelage mural à petits carreaux décorés de motifs provençaux monterait à mi-hauteur du mur. Pour terminer la pièce il y aurait un cellier qui abriterait les casseroles, une marmite et un faitout, des passoires et un égouttoir, un moulin à purée, une poissonnière et la vaisselle héritée des grands-mères de chaque côté de la lignée. Les couverts en argent seraient dans le buffet de la salle à manger près des assiettes bordées de dorures, personnalisées aux initiales de la famille. Il y aurait une table ronde entourée de quatre chaises en bois à l’assise paillée.
Ce serait une cuisine salle à manger donnant tout entière sur le jardin. Le haut des hortensias roses affleurerait à la fenêtre de droite. Entre la fenêtre et une porte vitrée menant à l’extérieur, un buffet-vaisselier aux portes vitrées occuperait entièrement le mur. On distinguerait un assortiment de verres rose fumés allant du verre apéritif au verre à digestif. L’évier serait perpendiculaire au jardin, il faudrait tourner le regard pour observer le potager par une ouverture d’un seul pan. Par cette pièce, on traverserait des chambres jusqu’au jardin. Au centre, une longue table avec plus de chaise que de membres de la famille.
#LVME_#04_d’une pièce à l’autre
Il y aurait un couloir aux carreaux de mosaïques colorées et des murs peints en blanc cassé habillé de patères de bois clair.
Il y aurait un carrelage en carreaux de ciment aux motifs rouge brique : des feuillages regroupés autour d’un cercle coloré de jaune. Les murs seraient peints d’un jaune coquille brillant.
Il y aurait une porte tapissée d’un décor floral. Le seuil serait usé par les allers et retours entre la cuisine et la salle à manger.
Il y aurait un parquet aux lattes abimées protégées par un tapis blanc aux poils épais en descente de lit. Les murs seraient entièrement recouverts d’une tapisserie aux motifs vert clair et vert foncé représentant des cercles les uns au-dessus des autres.
Il y aurait un lino blanc aux marbrures bleutées, reprenant la couleur des murs, marqué par les pieds de la baignoire et découpé autour du pied de l’évier.
Il y aurait un parquet à chevron vernis et des murs tapissés d’un motif floral beige.
Il y aurait un sol de terre battue, très noir, et des murs de ciment recouverts d’enduit. Accrochés à des hauteurs différentes, des paniers et des sacs remplis de bouts de ficelles, de vieux journaux et outils de jardinage.
Il y aurait une tapisserie de ces années-là que l’on voudra changer un jour où l’on aura le temps. On conservera le parquet en pin verni malgré les interstices qui emprisonne la poussière.
#LVME_#05_Phospho Guano
C’est un graffiti recouvrant toute la longueur du mur de l’ancienne usine Cie du PHOSPHO GUANO dont les lettres sont découpées dans une bande d’acier couleur brique qui m’accueille. Des lettres jaune canari dansent dans l’enlacement d’un liseré violet ou bien est-ce les formes d’un langage inconnu dont le regard me scrute. Le pirate de dessiné animé, dents jaunis, sourcils épais grogne en silence, arborant des cranes et os blanchis sur l’avant de son chapeau. Son tonneau de trésors s’enfonce dans les mauvaises herbes du trottoir.
A l’intérieur, de grandes bâches tendues sur les barreaux rouillés de la clôture d’enceinte retracent en photo la vie du quartier. Les vagues lèchent la digue, emportées par la tempête, seul le phare se dresse droit. La tempête de 1885 a fait 23 victimes indique l’encart.
Un couple, pied à terre des vélos, regardent l’objectif, la femme en jupe longue et chapeau fleuri, l’homme la jambe posée devant l’autre en un mouvement décontracté. Ils sont au niveau d’une bitte d’amarrage. Elles sont au nombre de huit sans aucun bateau de pêche à leur perpendiculaire. Le noir et blanc masque la couleur du ciel et celle des phares de jetée. Un bateau s’avance vers un large calme. A l’opposé, sur le mur de la jetée, un homme se tient debout pour scruter l’horizon ou bien pécher De dos, il masque ses gestes. Certainement l’une de ces photos que l’on développait en carte postale. Un timbre vert de cinq centimes a été collé sur l’image, représentant La Semeuse, motif créé par Oscar Roty.
#LVME_#06_quelques recoins
Ils sortent en courant de l’école, Raymond, Jean, Lucien, Robert, Roland et René. Ils ont prévu de se retrouver derrière l’usine Cosmo après avoir déposé leur cartable. Ils ont interdiction d’aller dans cette zone, ordre des Allemands. Mais la tentation est trop grande et personne de les découvre jamais. Il y aura des denrées ou des documents à voler. Ils n’ont pas encore trouvé d’arme ou de grenade. Ils en rêvent.
Leurs noms sont notés dans le registre ainsi que leurs âges et leurs adresses, les uns après les autres en tant que personnes en causes. Six enfants âgés entre 11 et 13 ans, en culottes courtes et chaussettes blanches, alignés dans les locaux de la gendarmerie. Leur affaire : non fréquentation d’école.
Il est cinq heures du matin. Sur sa mobylette, Jeanne part en direction du port pour attendre les premiers bateaux puis passera au marché. Toutes les denrées rentreront dans les deux sacoches accrochées au porte bagage. Elle improvisera le menu selon l’arrivage de la pêche, les légumes du moment et surtout le rationnement. Elle tuera peut-être un lapin de son clapier. Si elle décide de confectionner un dessert, les œufs du poulailler seront suffisants. Chaque jour se ressemble, faire les courses puis préparer le repas pour les ouvriers et pêcheurs du quartier. Louise viendra l’aider à faire le service.
Il n’y a pas de trace de la cantine ouvrière. Ni enregistrement au tribunal de commerce ni photographies. C’était entre 1940 et 1942. C’était au numéro 5 d’une rue qui n’est plus une rue. C’est une histoire de vies masquée par une entreprise de produits céréaliers. Un espace plat entre les silos à grain qui fut habité par de nombreuses familles. Je recherche leurs traces.
Il aimerait que tombe le brouillard. Qu’il l’enveloppe et accroche les ombres. Il marche à grandes enjambées apercevant au loin les phares de jetée. Il passe devant le café populaire, bifurque à sa droite. Un regard sur les moutons qui broutent déjà l’herbe. Il préfère rentrer par la porte secondaire justement pour ce paysage qui contraste des usines environnantes. Il s’est porté volontaire pour l’entretien de leur abri. Il ne sait encore pourquoi. Peut-être pour changer de l’horizon vertical des cheminées d’usine, de l’anthracite des silos. Homme de la ville, il connaît très peu le travail de la terre.
En zone industrielle de La Palice, vingt-six moutons ont été installés sur des parcelles en herbe d’une usine céréalières pour une tonte écologique à l’année. Ils broutent entre les bâtiments de tôle et les grillages d’enceinte.
#LVME_#07_quartier de la Pallice
– Marcel Longchamp, ajusteur, Jeanne Longchamp, cuisinière et leurs quatre enfants habitant au numéro 5 de 1940 à fin 1941.
– La Pallice, quartier de La Rochelle
– Paul Bertrand, journalier, Clélié Laurier et leurs cinq enfants habitant au numéro 5 en 1906
– Usine de la Cie Phopho Guano, 336 avenue Denfert Rochereau
– Louis Tercinier, Président de Sica Atlantique
– Jean Rollin, manœuvre, Jeanne sa femme, sans profession et leurs trois enfants habitant au numéro 5 en 1911
– Sylvain GIRARD, Président de la société Eco Mouton
– Violaine, bergère
#LVME_#08_vue générale
Histoire de la clé retrouvée dans une boite à chaussure
Histoire du facteur qui perdait son courrier
Histoire des moutons en bord de rocade
Histoire de la famille Bertrand, le père, la mère et leurs cinq enfants
Histoire de Germaine qui dansait la nuit dans le kiosque à musique
Histoire du docker qui créait des herbiers
Histoire d’Octavie qui élevait des lapins
Histoire de l’explosion de la citerne
Histoire de l’enlèvement des résidus de pyrites
Histoire de la grève des ouvrières du Comptoir Linier
#LVME_#09_chez Augustine
Accrochés à droite de la porte d’entrée, un almanach des postes, un calendrier des marées et un baromètre indiquant la pluie. Sur le rebord de la fenêtre, un sécateur rouillé près d’un pot de géranium rouge. Un évier blanc au robinet col de cygne fixé au mur, un porte savon en carrelage blanc. De grandes tables en bois occupent la pièce. On pourrait penser à une cuisine familiale s’il n’y avait pas tant de bancs et tant de vaisselle. De la vaisselle ordinaire et blanche. Chez Augustine, on s’assied les uns à côté des autres, selon son arrivée. Le premier plat est une soupe chaude où l’on trempe le pain. Souvent du poisson accompagné de pommes de terre bouillies. Au plafond, un abat-jour opaline ourlé d’une dentelle de verre.
#LVME_#10_faits divers
L’inspecteur Fouquier se tenait bien droit devant le débit de boisson du coin de la rue Moncalm. Les voisins pouvaient à peine le distinguer dans la brume, alors ils vinrent se masser devant la devanture, repoussés par les autorités. Toutes les suppositions fusaient : marché noir, assassina d’une prostituée comme la semaine passée, cellule de résistants démantelée. Le brouhaha des conversations dispersait la nuit et risquait de faire échouer l’enquête. L’inspecteur avait été appelé très tôt par le propriétaire d’une brûlerie de café à quelques rues de là. Dans la nuit, des voleurs étaient passés par la porte de derrière et avaient dérobé 637 kilos de café frais grillé. L’inspecteur avait tout de suite repéré une piste grâce à des grains de café échappés d’un sac qui devait être troué. Il avait suivi la piste jusqu’au débit de boisson et s’apprêtait à procéder rapidement à la perquisition avant que les patrons du café n’entendent le tumulte. Les sacs de café furent retrouvés et l’arrestation des voleurs mit fin à une série de cambriolages qui avaient débuté trois jours auparavant. Dans le même temps, une ambulance militaire passait sur le boulevard, transportant un sergent tombé accidentellement dans le bassin de La Pallice. L’inspecteur Fouquier se demanda si les deux affaires étaient liées.
#boost #00 | 46°09’54 »N 1°13’08 »W 6m
A la surface des flaques d’eau se reflètent le poteau d’appui du portail gris clair surmonté de barbelés et les mauvaises herbes longeant enveloppant la clôture de grillage fin. La rue s’y heurte stoppée découpée entre voie publique et voie privée, arrachée à sa fonction de voie de circulation reliant une rue à une autre. Un panneau vitesse limitée à 10 kilomètres heure pourrait le laisser croire pourtant. Aucune silhouette déambulant sur le trottoir, aucune destination à atteindre. Les automobilistes, sur la rue voisine, seraient étonnés d’y apercevoir une présence, là, dans cette rue qui n’en est plus une, à deux pas de l’intersection entre la rue Montcalm et l’avenue Denfert Rochereau, ancienne rue dite de la Soif où les bars, côte à côte, rassemblaient la vie du quartier. Ravalements oubliés, maisons avoisinantes désertées, bombées de couleurs vives, artificielles : poitrines aguichantes, oiseaux d’îles lointaines, gueule de pirate aux sourcils ailés et bouches incendie rouge écarlate ponctuant la grisaille. Les mousses cascadent des gouttières ou y gisent retenant l’humidité de l’océan, les nuages s’élèvent au-dessus des silos cylindriques, de tours, sorte de cheminées, jaune canari. Pas un pas plus en avant, Accès interdit à toute personne non autorisée. Fureterentre Toutes directions et centre du quartier avant de revenir à ce bout de rue, et on ne sait pas, on se sait plus ce qu’il y avait au-delà, à quelques pas, dans le rayon d’un soleil que l’on voudrait poursuivre de l’autre côté du portail, qui nous échappe, bondissant contre la façade taguée de l’usine de phosphore voisine, sous vidéo protection.
#boost #01 | empreintes
ST1
La terre est de sable et de limon. Humide d’océan et de pluie. C’est une terre sous la mer qui draine et s’écoule. Particules et granules transportés par les courants. Venue des roches. Venue des terres au-delà des mers. Une terre d’algues et de coquillages, concassés, broyés sous le poids du tangage des vents. Une terre plate affleurant la falaise.
ST2
la terre s’échappe s’engloutie couverte recouverte enterrée la terre s’enterre et disparaît sous les pas le béton les horizons de silos la terre sinue s’insinue sous les fondations frondaisons d’usines dissémine l’odeur d’humus l’humeur des chemins humides d’engrais de débris de graviers devenus gravières la terre échappe au végétal.
ST3
Les jardins ont disparu, la terre labourée, retournée, n’existe plus. Je ne cueille ni rose trémière ni pivoine. Je me heurte à la poussière de la terre. La poussière du béton, de la décomposition. La couleur est de gris, de bruns, de poutres d’acier. La terre a pris la couleur de ce qui la creuse, de ceux qui l’exploitent. La terre entre mes mains s’enfuit. Je cherche les empreintes, le dessin des semelles happées par la boue, le tracé d’une marelle dans un square. Le béton a recouvert la terre. Je forme des sillons, disperse des gravillons dans le caniveau. Ils tombent sur le bout de mes chaussures, rebondissent, entrent entre le cuir et la peau, écorchent la plante du pied. La terre entre dans ma chair.
ST4
Une nappe est une vaste étendue d’eau à la surface du sol ou sous la terre.
Le compost est une matière organique décomposée, utilisée pour enrichir la terre.
La porte en bois de chêne à deux vitrages rectangulaires protégés par une grille décorative. La poignée ronde et dorée ne sert pas à l’ouvrir. Elle s’ouvre d’un mouvement de clef sur un couloir au carrelage ancien. Tapisserie beige dans l’escalier à la rampe cirée et effluves de potage aux légumes. La porte en fer peinte d’un vert forêt que l’on entretient chaque printemps. On la pousse la ramène à soi la pousse encore ôtant du bout du pied les graviers et gravillons qui la retiennent. Le sol est noir et les étagères poussiéreuses d’oubli ou de désinvolture sans aucune fioriture sur les bacs remplis d’objets hétéroclites trouvés dans la laisse de mer. La porte vitrée à la peinture écaillée et la poignée de fer gris s’ouvrant sur la cuisine surchauffée par le poêle plein des bûches ramassées l’hiver passé entreposées derrière la porte en contreplaqué que l’on aperçoit dans l’enfilade de l’évier et qui mène au garage. La porte assemblage de planches clouées collées qui se soulève par une corde grosse comme un poignet menant jusqu’à la cave où des bouteilles sont rangées à plat dans des casiers d’acier. La porte enjambée tête baissée la poussière en suspension dans l’air sous la lucarne recevant la lumière. Pas un bruit pas un espace pour faire une enjambée quelques petits pas à peine jusqu’aux livres empilés aux revues de mode conservées depuis des années aux objets que l’on n’a pas voulu jeter.
#boost #02 | à la dérobée
La porte en bois de chêne à deux vitrages rectangulaires protégés par une grille décorative. La poignée ronde et dorée ne sert pas à l’ouvrir. Elle s’ouvre d’un mouvement de clef sur un couloir au carrelage ancien. Tapisserie beige dans l’escalier à la rampe cirée et effluves de potage aux légumes. La porte en fer peinte d’un vert forêt que l’on entretient chaque printemps. On la pousse la ramène à soi la pousse encore ôtant du bout du pied les graviers et gravillons qui la retiennent. Le sol est noir et les étagères poussiéreuses d’oubli ou de désinvolture sans aucune fioriture sur les bacs remplis d’objets hétéroclites trouvés dans la laisse de mer. La porte vitrée à la peinture écaillée et la poignée de fer gris s’ouvrant sur la cuisine surchauffée par le poêle plein des bûches ramassées l’hiver passé entreposées derrière la porte en contreplaqué que l’on aperçoit dans l’enfilade de l’évier et qui mène au garage. La porte assemblage de planches clouées collées qui se soulève par une corde grosse comme un poignet menant jusqu’à la cave où des bouteilles sont rangées à plat dans des casiers d’acier. La porte enjambée tête baissée la poussière en suspension dans l’air sous la lucarne recevant la lumière. Pas un bruit pas un espace pour faire une enjambée quelques petits pas à peine jusqu’aux livres empilés aux revues de mode conservées depuis des années aux objets que l’on n’a pas voulu jeter.
#boost #03 | l’indicible
Ses parents et son mari lui répètent, elle le dit elle-même à ses enfants, aux voisins, aux amis de passage ; tu ne dois pas avoir peur ; peur de la tombée du jour, du lendemain, peur des jours qui reviennent. Tu ne dois pas avoir peur du manque, de la joie de vivre, de manquer d’horizon, de la ligne d’horizon ; peur du regard suspicieux de l’inconnu croisé au coin de la rue, peur des langues qui se délient, de ce qui se cache sous le béton, sous les képis, sous tes pas, ce grouillement indicible qui remonte au creux de l’estomac ; peur de ce que tu ne vois pas, de ceux que tu ne vois pas derrière les murs de barbelés, peur de ton visage qui ne sait plus sourire, de tes mains que tu serres et enserres, frottes, consoles, l’une contre l’autre comme pour te convaincre que rien ne te fait peur ; peur des ombres, des étoiles à peine visibles, des figures de la nuit ; peur de l’inquiétude et de la douleur, peur du mépris, des intrusions ; peur du rivage déserté, de l’immensité de l’océan, du bleu profond, des déferlantes, des grains de sable au fond de ta chaussure ; peur de te dissoudre dans le siècle, de ne plus retrouver l’insouciance et les images d’enfance, le velours d’une robe, les rubans soyeux dans les cheveux, le rose de tes joues, peur de ne plus sauter à la marelle, de chanter frivolement, peur d’oublier que l’on peut se cacher juste pour rire, pour jouer, se retrouver ; peur du naufrage, peur des sirènes, de celles du fond des mers, de celles qui extirpent des rêves au mitan de la nuit ; peur des trous de la mémoire, dans le corps, peur des oubliés, des disparus, de ceux que l’on ne reverra plus ; peur des aurevoirs d’un soir, peur du chao, des tirs de DCA, des éclats de lumière, des fumées qui s’élèvent, peur du silence avant le tumulte, des uniformes noirs, de bottes vernies, des marches en cadence militaire ; peur de l’indicible, des fissures dans les murs, des creux dans le temps ; peur des conversations derrière les fenêtres, au détour des chemins ; peur de tout dire, de trop en dire, peur des cicatrices qui se dessinent sur le cœur, peur des bouches torturées, des gestes camouflés, peur des signes dans le ciel, des vols aléatoires, des explosions, des courses effrénées, des grilles qui s’élèvent, des portes qui se referment ; peur de la faim, des restrictions, de la couleur des bons de rationnement, peur du jour qui s’épaissit, des barbares, des monstres, des hommes à deux visages, des sentiments qui tanguent, des actions que l’on n’entreprend pas.
Codicille : je suis en 1941, au 5 rue de lîle de Ré, quartier de La Pallice, La Rochelle. J’ai tenté d’imaginer ce que pouvaient ressentir les habitants alors que les Allemands entreprenaient la construction de la base sous-marine, transformant le quartier en base militaire.
#boost #04 | tenir tête
Tenir tête à l’obscurité — c’est se perdre dans les couloirs — courir dans le dédale des caves — avaler la fin des bouteilles — suivre le pas de l’autre — la semaine serait identique à la précédente — les déjeuners du dimanche — la sortie sur la place près du kiosque à musique — l’enthousiasme — il y aurait d’autres questions d’autres peurs — vers quel horizon se tourner ? — observer la houle —il y aurait presque moins de danger — sautant à deux pieds ? — les bras en avant la tête en arrière ? — plonger dans l’obscurité la clarté de la lune ? — en ressortir sans attendre — devenir une ombre — longeant les murs — camouflé à l’opacité — chantant dansant à la lumière oubliée — et se perdre encore — sans l’affronter — sous la déflagration des éclairs — être dans un demi-jour une incertitude — fuyant une silhouette équivoque — devançant les mensonges noircis — quand la terre se fait plus sèche — l’herbe en fuite — y aurait-il brume brouillard à dissiper ? — aveuglement surnaturel ? — sans méchanceté — tenir tête à l’obscurité
Codicille : toujours en 41, quartier de La Pallice – proposition qui m’a semblée difficile – peut être parce que je ne me suis pas focalisée sur un personnage ou un sujet
#boost #05 | est-ce que le cri rêve ?
Le cri est silence sans mémoire. Oubli. Le cri se heurte à l’indifférence, aux fantômes sans voix ni paroles. Le cri se hisse des valves du cœur pour se perdre dans la glotte. Il est sur la langue. Il glisse. Il mâche, crache ce qui ne peut être dit. Qui étaient-ils ? Qu’ont-ils laissé ? Noté ? Partagé ? Pourquoi ne pas avoir parlé ? L’avoir répété ? L’avoir griffé sur les murs ? Griffé du cri de non-oubli. Je vous imagine crier, dans les rues, dans la nuit. Est-ce que le cri vient dans votre sommeil ? Est-ce que le cri entre dans le rêve ? Est-ce que l’on rêve dans ces périodes-là ? De quoi rêve-t-on dans ces périodes-là ? Est-ce que l’on crie encore après ses enfants ? Est-ce que l’on crie encore après son chien ? Alors que dehors tout bourdonne, alors que les canons crient eux-mêmes d’une couleur éclatante ?
Codicille : rattacher ce texte à un nouveau projet dans la lignée des textes de LVME et Boost. Difficile au départ de caractériser ce cri. Cri de l’ignorance, de la recherche, de l’éloignement du lieu.