Vers 1820
Histoire du grenier fort, synonyme de richesse, le bâtir un peu trop tôt peut porter malheur, ne pas en avoir devient vite une source de tourment.
Histoire de la souillarde, de comment et pourquoi Elsa s’est battu pour en voir une avec la lumière du dehors.
Histoire des fenêtres dont la distribution sur la façade a changé la vie dans la maison.
Histoire des fiançailles en vue de la dot, qui commence à la naissance d’Elsa quand Albin a deux ans. Tractation entre les pères et influence des mères scellent la décision de partager les surfaces, en prenant du large avec une malédiction.
Histoire d’un tabou qui empêche un Sandoz de marier un Pittet, et de comment il fut levé par Albin qui ne veut pas perdre la chance de marier une fille qui apporte un terrain et une ferme, même s’il se bat avec ses frères et pas qu’un peu.
Histoire du voyage d’Augusta après qu’elle a reçu des nouvelles pas très bonnes de sa mère par une nièce, et d’Anthelme qui fait tout pour l’empêcher, car il craint : saura-t-elle revenir ?
Histoire de la maison neuve sur un lopin de bien situé au-dessus du village, assez grand pour y bâtir une maison, on y dira les débuts de la parcelle d’avant même la maison en remontant à l’élévation de la montagne, la naissance du sommet de l’Aigle à l’horizon.
Histoire d’une fille de ferme mise à garder les chèvres dans les chemins, à tenter d’échapper à Tonin Bourgelat et ses jeux de plus en plus risqués ou dont elle ne veut pas, et aux deux frères Pittet qui savent pourquoi elle est là.
Histoire de la pierre du linteau, la fête qui réunit le village sans tenir compte des querelles, un carnaval commencé avant l’aube par des airs de flûte entendus depuis chacune des maisons du village pour converger jusque dans la cour de la ferme devant le linteau à graver, une manière de chasser les démons avant la bénédiction de midi.
Histoire de celui qui grava la pierre du linteau, c’est à Albin que revenait cette prérogative, il l’a partagé avec son beau-père et on en parle encore.
Histoire des coutumes pour savoir orienter les pièces des maisons s’appuyant sur une suite de dictons, de savoir de levers de soleil et de lune aux dates primordiales, à Pâques et à Noël, les usages et les superstitions. Le bon sens des architectures par mimétisme, le savoir des couvreurs et des charpentiers, toute profession dont on se tient éloigné bien qu’indispensables.
Histoire de la conquête du sommet de l’Aigle, elle se confond avec l’histoire des trois sommets les plus hauts de cette partie du massif, même si le nom de Antonietta est toujours plus donné dans la vallée que partout ailleurs.
En 1906
Histoire de l’incendie qui ravage le village. Malgré la rapidité pour organiser la lutte, le village sera détruit entièrement. Un monument le rappelle avec gravé dessus le nom d’Hippolyte Kremer mort la nuit qui suit le début de l’incendie, avec cinq autres, une famille coincée par la chute d’un toit et une pauvre vieille sourde qui rien n’a réveillé, même pas mourir. La maison Pittet à la sortie du village, a été une des rares à rester debout. On a parlé d’Elsa, sans dire rien de ses pouvoirs encore puissants malgré ses cent-trois ans.
Histoire du veuf qui provoque le feu de sa maison en y jetant les nippes de sa femme Dolie, qu’il ne veut plus voir portées par ses filles. Depuis la mort de Dolie, sa vie est sans forme et sans but, il court à la ville le samedi et boit du vin sans mesure, ses vaches sont les plus souffreteuses du village malgré les mois passés en estive mélangées avec le troupeau d’Hippolyte Kremer son beau-frère.
Histoire des reconstructions, on connaît peu de choses à ce propos, les plans du village ancien ayant été perdus, il faudrait fouiller entièrement la zone pour trouver les vestiges des maisons qui ont brûlé en mai 1906, on tombe régulièrement sur un morceau de mur ou sur une fosse, ancienne cave, en terrassant les rues pour y faire les entretiens. On le signale et on le note sur un plan actuel, les deux plans superposés ressemblent à ces cartes dont on gratte les pays visités, des petites zones grisées sur un ensemble qui reste vierge.
Histoire des enfants Kremer qu’on appelait après l’incendie le fils, le deuxième, la fille et l’autre, eux se désignaient par quatre syllabes, quelque chose comme Ba, Rou, Vri et Lac, restés seuls et ensemble après que leur père ait été enfermé jusqu’à la fin, vivant entre eux, quatre êtres marqués par le malheur à en oublier leurs prénoms.
Années 50
Histoires des derniers propriétaires, avant d’être ruinés, ils ont tout vendu et sont partis, sans doute au Canada. Pour recommencer.
Histoires de notes en 1950 dans le calendrier pendu au clou de la cuisine et retrouvé en 1974.
Histoire du 15 octobre, jour du départ pour le Canada, avec des caisses empilées dans un camion.
Années 70
Histoire de l’achat de la maison vide depuis vingt ans suite à une affaire de notaire et de paiement jamais vraiment terminé qui en avait empêché la remise sur le marché. La rénovation et le projet farfelu des trois étrangers qui en ont fait l’acquisition.
Histoire du bornage des terrains, chaque voisin veillant à ne pas perdre le moindre centiare, il est fait avec un niveau de précision qui n’a pas toujours servi ceux qui voulaient éviter d’être floués, des passages communs ou des zones de lisières mis en culture indûment depuis deux décennies ayant été restitué.
Histoire du plancher du grenier démonté en vue d’être refait, comment d’enlever des lames de cent-cinquante ans a révélé de drôles de choses de ce qui se passait chez les Pittet, des équipes d’historiens et d’archéologues ont relevé et conservé les objets découverts et restés cachés au fil de plusieurs générations.
Histoire de dix choses remarquables retrouvées sous les lames du plancher dans le grenier et mises à jour lors de la rénovation : de vêtements et des broderies, des poupées piquées ou aveuglées, des sacs remplis de mille autres objets taillés dans des pierres, des os ou du bois, des chaussures dépareillées et minuscules, des feuillets couverts de recettes et de listes, bouteilles aux étiquettes suggestives, des ossements, certains humains.
Histoire d’un stage dans une maison en travaux, mais qu’importe c’est l’été, et d’une fille de seize ans qui bientôt sera loin, dans une école à l’autre bout de la France.
Années 2000
Histoire d’un avion écrasé volontairement contre le Sommet de l’Aigle, ce geste suicidaire a défrayé la chronique.
Histoire d’un accident d’avion survenu dans les parages du sommet de l’Aigle, dix ans avant le geste désespéré du pilote, aucun rescapé non plus.