#LVME #6 | démentis

Fiction 1 : Pendant la construction de la ferme, deux hommes se sont battus, le père et le fils, de ces bagarres qui laissent des traces indélébiles dans les familles, puis les hommes ne se sont plus parlé jusqu’aux dernières heures du vieux quand, à quelques jours avant de passer, sentant en lui un fourmillement que son père avait décrit soixante dix ans plus tôt, le vieux avait suivi le chemin jusqu’à la porte de la ferme neuve, elle était ouverte, il était entré, le fils buvait un verre assis à la table, il a pris la bouteille et servi un deuxième verre. Ce qu’ils se sont dit est perdu, le lendemain le vieux était mort au lever du jour.

Réalité 1 : Les silhouettes de paysans m’accompagnent, ils sont fait de paysans aveyronnais, d’habitants des campagnes du Jura, ceux-là évoluent dans un lieu dont on a pas dit encore qu’il est en Suisse romande. Un endroit connu et fréquenté quelques jours, juste avant de quitter cette région.

Fiction 2 : Dans les histoires de cousinage on perd le fil des péripéties d’une famille dès la deuxième génération, si bien que l’enveloppe glissée un jour lointain sous le plancher du grenier faisait figure de miracle. Ce qu’elle contenait venait compléter un détail depuis longtemps déformé et oublié. Le plancher lors de sa réfection avait révélé un nombre invraisemblable de petites choses cachées comme souvent dans les planchers de plus de cent ans mais n’en était pas moins la trouvaille majeure. Il s’agissait des épisodes de la dispute entre la matriarche de la famille et son fils, quand la ferme n’existait pas encore, que pour la fille qu’il voulait marier la dot comprendrait ou pas ce lopin situé au dessus du village, assez grand pour y bâtir une deuxième habitation et donner une place à une famille nouvelle qui aurait d’un coup ce que d’autres mettent si longtemps à obtenir : l’indépendance.

Réalité 2 : Un exposition vue au Frac de Besançon m’a marqué : dans une ferme de haute Westphalie un changement de parquet avait été l’occasion de découvertes incroyables, des documents mais aussi des objets de vie quotidiennes, des boites de médicaments, des vêtements, des poupées ou des objets de rites perdus, des aiguilles, des couteaux, des os d’animaux, mâchoires et petits osselets… Le plus terrifiant et aussi le plus fascinant était une collection d’une trentaine de chaussures dont on n’avait retrouvé que des pieds gauches, des chaussures de petites tailles, ex-voto ou support de sort, personne dans l’équipe d’archéologues ne savait le dire.

Fiction 3 : L’emplacement de la ferme a été la cause de bien des discussions, tant de superstitions devaient être vaincues, le choix des orientations représentait un savant calcul et une tentative d’éviter le pires malheurs. Le nombre de fenêtres était déterminé par des critères dont celle qui vivrait là des longues journées avait une connaissance incomplète et parasitée de sous-entendus, de même sans rien lui en dire les hommes, ses frères et son fiancé parfois aussi le père, passaient des heures à envisager la taille du grenier où l’on engrangerait le foin, trop grand il coûterait trop cher en charpente, trop petit il serait un éternel sujet d’inquiétude au moment des récoltes, il y avait la question d’un grenier fort ou pas, à poser dans les parages à l’extérieur, sa construction suscitait les souhaits et des expectations, aurait-on assez de bien pour en avoir l’usage ? Ne pouvait-on garder une place dans celui des parents contre une pièce d’or ? La souillarde selon qu’elle serait avec ou sans ouverture dénoterait de l’orgueil de la maîtresse de maison, la fille insista tant qu’elle l’obtint, pendant plusieurs jours on cessa de dire son nom pour qu’elle sache qu’on avait cédé à un caprice que l’on méprisait, la hauteur du plafond qui devait être comme dans les autres fermes pour suivre la tradition devait garantir un peu de chaleur en hiver et malgré d’autres solutions possibles on décida d’appuyer la future maison contre l’étable en prévoyant une ouverture entre la maison et l’abri des bêtes, la chaleur pourrait se propager. Quand commença le débat sur la taille du lit nuptial et les attentes à son égard, la souffrance fut telle que la fille en tomba malade des semaines toute la saison qui précéda le mariage.

Réalité 3 : Si je garde quelques images de cette ferme dont j’ai refait le toit un été de 1975 avec toute une joyeuse bande que je devrai quitter en septembre puisque je quittais ce pays, me plonger dans une histoire recomposée de sa construction me pousse à tester des véracités possibles, des cohérences à maintenir dans un espace qui se précise au fil des descriptions et des contingences porteuses d’événements. Qui n’a jamais imaginé le chantier de ces fermes au linteau gravé d’une date ancienne, qui n’a eu une pensée pour les ciseaux du graveur dans son présent perdu pour nous, pour qui en bénéficierait comme d’un cadeau inestimable de Dieu, un espoir de vie meilleure.

A propos de Catherine Serre

CATHERINE SERRE – écrit depuis longtemps et n'importe où, des mots au son et à la vidéo, une langue rythmée et imprégnée du sonore, tentative de vivre dans ce monde désarticulé, elle publie régulièrement en revue papier et web, les lit et les remercie d'exister, réalise des poèmactions aussi souvent que nécessaire, des expoèmes alliant art visuel et mots, pour Fiestival Maelström, lance Entremet, chronique vidéo pour Faim ! festival de poésie en ligne. BLog : (en recreation - de retour en janvier ) Youtube : https://www.youtube.com/channel/UCZe5OM9jhVEKLYJd4cQqbxQ

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