#LVME #13 | La concordance des temps

Elle serait elle-même dans son livre, elle qui n’avait jamais été, pas même sous la forme d’ombre, sur aucune de ses photos. Elle ne se verrait pas en personnage centrale, en celle qui dit je, elle y serait un peu comme le catalyseur des réactions chimiques ou bien comme le prétexte à raconter tout ça. Non, évidemment, c’est bien plus clair que ça, elle serait simplement celle qui prend la photo, qui met l’image en mots de l’autre côté de l’objectif. 

Elle serait dans son livre mais on ne la verrait pas, ou juste comme une ombre, une confidente qui sait ce qui est arrivé à qui va se confier, qui pose les bonnes questions et met en place les choses pour que les mots adviennent.

Elle serait dans son livre par le choix des cadrages, des sujets, des lumières, des profondeurs de champ, de l’heure de prise de vue, du flou, du contre-jour ou du parfaitement net, du traitement de l’image et des retouches ou non, de la scénographie, succession des chapitres pour qu’on suive sans écarts, sans ennui, en haleine, l’histoire qui se raconte.

Elle serait dans son livre comme les magiciennes des contes et légendes. Elle remettrait sur pied les arbres déracinés, les châteaux écroulés, les amours déchirées par le temps et le reste, les projets si brillants quand même abandonnés, l’histoire de cette île où elle aurait pu vivre jusqu’à la fin de son temps. Elle remettrait sur pied les enfants juste nés et déjà disparus.

Elle serait dans son livre parce que ce serait enfin le moyen qu’elle recherche de pouvoir s’affranchir de la concordance des temps. Dans son livre elle pourrait faire revivre un passé qui n’a jamais été saisi par la photo. Les photos du présent, elle en fait des souvenirs, mais là avec les mots elle pourrait rendre présent tout ce qui est passé, dans son passé à elle, dans le passé de l’île.

et tout autour, la cohorte de ses personnages, de leur histoire, leur passé, leurs légendes :