#LVME #12 | P comme Enseignes

Josef n’aime pas les E. Et encore moins les EN, trop difficiles à prononcer pour sa langue maternellement habituée au lituanien. Alors il a décidé qu’il ne peignait pas des enseignes, mais des panneaux, des panonceaux, des pancartes, des panneaux-réclame, des placards, des publicités, mais pas des enseignes. Une bonne fois pour toutes. Sur ces panneaux il peint de très jolis E, ce n’est pas le problème de l’écrire, juste de le dire. Parce que côté calligraphie, aucune lettre ne l’intimide, même s’il a une prédilection pour les lettres à jambes qu’il s’est fait une spécialité de tracer avec une égalité de trait, précisément dans les jambes, même à main levée. Sur Lavrec c’est lui qui a tracé tous les panneaux, mais sur Bréhat également pour quasiment tous les commerces et les demandes commencent à venir des communes avoisinantes sur le continent. L’Arcouest, Loguivy, Lannevez, Launay, Pors-Even, Launay, Perros-Hamon, Ploubazlanec, Kerroc’h et même une ou deux à Paimpol, trois à Lézardrieux, tout le site de l’école de voile de Coz Castel et toutes les petites pancartes des plantes du jardin de Kerdalo. Josef fait ça l’hiver, tranquille dans l’atelier quand personne d’autre n’y est à part Neige, parfois. Ils se retrouvent là, chacun dans sa sculpture, ils ne se parlent pas, ils sont juste ensemble, au même endroit dans cet atelier qu’ils ont construit ensemble sur les ruines de la chapelle. Neige de son côté reste dans les cuillères, cuillères à café, cuillères à thé, cuillères à épices, cuillères pour cuisiner, louches, spatules, couverts à salades, cuillères à miel, de toutes tailles, de toutes formes, creuses ou plates, symétriques ou non, plus ou moins creuses et arrondies. Ses préférés pour les cuillères restent les bois de fruitiers mais elle utilise tous les restes de bois dont elle peut disposer, cerisier, pommier, poirier, prunier, olivier, noyer, acacia, aulne, orme, tilleul, saule, bouleau, peuplier, hêtre, érable, saule, chêne, frêne, charme. Pas les pins et sapins qu’elle dit bois de charpente. Même chose pour Josef qui utilise aussi tous les morceaux de planches gardés au fil des stages. Ses pancartes, au début étaient juste des planches peintes, et puis un peu creusées pour mettre chacune des lettres un peu plus en valeur, leur donner du relief. Et maintenant il en est à les sculpter chacune pour ensuite les poser dans l’ordre sur un support. Il sculpte, grave ou peint en typographe, essayant d’adapter la police utilisée à chaque commanditaire. Plus de gras, des espaces plus grandes, des lettres de style gothique ou bien celtique, avec ou sans serif, moderne ou façon caisses de transport d’autrefois sur les bateaux à voiles de la compagnie des Indes, avec des largeurs, des hauteurs différentes, ampoulées ou toutes simples, lettrines recherchées, capitales ou bas de casse, penchées ou bien rigides, ou chacune inclinée dans un sens différent suivant ses intuitions. Sa passion pour les lettres est sortie de l’atelier et elle est arrivée dans la cabane de Mow qui lui a calligraphié des cartes de visite sur un très beau papier, texturé juste un peu, douce teinte chaude à peine visible mais présente, encre de Chine, lettres d’une grande sobriété, sans en devenir classiques, les E barrés très haut, les S aux courbes parfaites et le J en crochet pour attraper le client. Il ne les a jamais utilisées. Dessus est écrit, Josef Stalius, enseignes.

A propos de Juliette Derimay

Juliette Derimay, lit avidement et écrit timidement, tout au bout d’un petit chemin dans la montagne en Savoie. Travaille dans un labo photo de tirages d’art. Construit doucement des liens entre les images des autres et ses propres textes. Entre autres. À retrouver sur son site les enlivreurs.

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