
La cabane de Mow sur l’île de Lavrec est en bois, toute en bois. Trois marches en bois façon échelle de meunier, bardage en bois et isolation laine de bois, porte en bois toute simple, loquet en bois, plancher en bois avec juste un tapis tissé pour la couleur, mais surtout, murs en lambris. Comme les murs sont en bois, Mow a pu accrocher ses photos avec de fins clous sans tête, les photos qu’elle préfère, elle, et celles que les gens adorent et qui lui ont rapporté beaucoup d’argent, qui lui permettent de vivre sur l’île depuis plus d’un quart de siècle. Elle les imprime toutes du même format et elle les cloue l’une à côté de l’autre, sans espace, dans l’ordre chronologique de la prise de vue, en rond autour de la pièce, comme un O, sur les murs de sa cabane, autour d’elle. En rond avec des trous, des trous pour les portes, celle pour entrer et sortir et la porte de la salle de bain, celle de l’armoire où elle range ses habits, des trous pour les fenêtres pour voir dehors et accueillir la lumière, et les fenêtres pour voir dedans avec les étagères remplies de livres. À part ces trous, les photos sont clouées l’une à côté de l’autre, pas très grandes, format vingt-trente à peu près. Ça commence par les photos de mode, ses premières photos à Londres. Photos de magazines, défilés de mode, mannequins, poses travaillées, lumières invisibles tant elles sont elles aussi travaillées et retravaillées. Puis un peu les coulisses, portraits de couturières, des mains sans visages, le désordre des ateliers, lumières venant des lampes, toutes entières dirigées vers les mains. Puis des ateliers vides, robes et pantalons sans personne à l’intérieur, lumière naturelle qui rentre par la fenêtre. Ensuite mannequins dehors, dans des jardins fleuris, parterres apprêtés et arbres taillés de prés. Lumière naturelle, souvent un peu aidée de quelques projecteurs ou autres réflecteurs, on distingue ça aux ombres, plus douces qu’il ne faudrait. On continue à tourner, le O se transforme en spirale pour faire calligraphie avec pleins et déliés, deuxième étage d’images au-dessus du premier. Des mannequins encore, mais au milieu des arbres, dans la forêt, sur d’immenses plages désertes, dans les montagnes aux herbes rases, la neige et les forêts de sapins jusqu’au bord de la mer, peut-être l’Alaska, d’autres en Écosse sûrement, peut-être même les Shetland, davantage des portraits d’humains que des images de mode et puis les personnages de plus en plus petits, avant les paysages sans aucun être humain. Mer, montagnes, forêt, encore parfois des villes, des rues, des paysages urbains, mais vides et de plus en plus rares. Le O bientôt complet, toujours des paysages, mais aussi des détails des insectes et des plantes, des oiseaux, des gros plans aussi de ce qui vit dehors. Et plus aucun humain maintenant qu’on en est aux dernières images qui construisent le O