# LVME #10 | est-ce que je sais moi

C’est quelqu’un qu’on croise et puis rien. C’est quelqu’un qu’on croise et on ne sait rien. Affable sans s’attarder. Il n’y a pas eu de bruit.
Les unes et les autres remontent le souvenir d’avant-hier, même plus loin. Creusent à rebours : Est-ce qu’on lui a, jamais, vraiment parlé ; est-ce qu’on l’a seulement, jamais, vraiment remarqué. Qu’il ait existé personne ne peut le mettre en doute.
Qui a entendu le bruit avant-hier? Il a bien fallu que quelqu’un entende . Personne.
Quelqu’un a vu, celle du deuxième, elle fumait au balcon; c’est elle qui a vu – celle du deuxième qui a un bébé de quelques semaines et fume au balcon –, on dit qu’elle a besoin de soins à présent; un choc . J’ai cru du linge décroché d’un étendoir du dessus, du linge ou quelque chose de plus lourd, une couverture posée sur la rambarde qui aurait glissé peut-être ; il fait si doux, on passe son temps à aérer; et comme on ne peut pas sortir on grappille du dehors; il y en a je crois qui dorment à la belle étoile de leur balcon. Le bruit sourd, c’est le bruit sourd qui m’a troublée, un bruit lourd plutôt, lourd c’est le mot je crois, ça ne collait pas : je me suis penchée machinalement pour voir, pour vérifier je ne sais quoi – est-ce que je sais moi ; qu’est-ce que j’imaginais ? je n’ai pas pu descendre, je n’en ai pas trouvé la force : j’ai appelé.
Le bruit qui a alerté les autres c’est celui de la sirène, celui des voix très fortes qui remontent de la cour ; et le mot victime qui revient en boucle; celui des pas dans l’escalier, cinq étages en courant avec le matériel ; celui des aboiements dans le studio et le hurlement à la mort : le chien qu’il a fallu sédater et museler . Et les lumières tournantes dans la cour avant-hier vers 21 heures. Il est où maintenant… Est-ce que je sais moi…