Vingt juin deux mille dix sept. Un peu plus de dix-huit heures. Dans le restaurant grec dont la façade est comme tenue dans la main jaune vif peinte sur le mur , deux hommes terminent la mise en place pour le service du soir. Ils échangent de temps en temps un sourire et quelques paroles . Le plus jeune porte une chemise bleue passé mal rentrée dans son jean, le plus âgé est tout en blanc. Une femme brune compte les billets de la caisse dont on entend le tintement bref dans le silence qui précède l’arrivée des premiers clients.
Vingt juin deux mille dix sept. Un peu plus de dix-huit heures. Le libraire a ouvert la porte pour laisser entrer un peu d’air. Plusieurs clients arpentent les rayons. Certains sont accroupis et extirpent un volume des étagères les plus basses. Une femme aux cheveux blancs tombe dans les bras d’une autre comme pour des retrouvailles inattendues; L’homme qui l’accompagne se tourne vers le libraire, l’entraîne au dehors et désigne, bras tendu dans un geste de balayage, les fresques qui recouvrent tous les murs de la rue.
Vingt juin deux mille dix sept. Un peu plus de dix-huit heures. Des couples s’arrêtent devant les menus affichés. Une jeune femme sort du salon de tatouage dont la vitrine est comme encadrée par un œil. Elle allume une cigarette tout en parlant au chat qui se frotte à ses jambes. Un groupe passe en riant, puis deux amies s’en détachent et prennent la pose devant un violoniste représenté à taille humaine. Les filles rient en imitant le geste du musicien pendant qu’un garçon les prend en photo
Vingt juin deux mille dix sept. Un peu plus de dix-huit heures. Une jeune femme parle au petit enfant qui la regarde, bien assis dans sa poussette , son petit corps abandonné aux légers sursauts que produit le pas soutenu de sa mère sur la chaussée aux pavés mal joints. Peu de voitures dans cette rue qui pourtant n’est pas piétonnière. On n’entend pas ce qu’elle lui dit mais l’enfant écoute, plisse parfois son front. La poussette évite les chats nonchalants et la mère n’a pas un regard pour les figures colorées qui font signe.
Vingt juin deux mille dix sept. Un peu plus de dix-huit heures Un groupe d’adolescents s’arrête un instant devant la boutique du tatoueur, s’anime avant de repartir. Un homme pousse son vélo en sifflotant et les ados se moquent un peu de lui, qui se retourne en souriant. Une porte s’ouvre. Le dieu indien peint sur le mur n’a plus de visage. Une jeune fille apparaît , très apprêtée et affronte la chaussée , bien droite dans ses escarpins .
Vingt juin deux mille dix sept. Un peu plus de dix-huit heures. un blues de Johnny Winter fait lever la têt aux passants. Quelqu’un a ouvert une fenêtre et des voix s’élèvent ignorant la guitare et l’harmonica qui s’obstinent. La jeune fille devant la boutique du tatoueur écrase un mégot du bout de sa bottine. Elle croise ses jambes nues et sourit à la rue , au ciel de plein été peut être. Quand elle ferme les yeux un instant on voit le trait noir qu’elle a tracé au ras de ses cils, son visage dessiné avec autant de soin que ceux des murs.