Aller hop !
Prenons l’hôtel au 35, rue des Poissonniers, Paris 18e. Trente ans plus tard, ils sont tous morts et enterrés, oubliés. Ce qui fait que, justement, cela devient un lieu mythique. La loge de la concierge, Madame De la Serpillière, est toujours là. Elle vit seule jusqu’au jugement dernier. Pas de chat, pas de chien. Deux canaris inséparables. Je pourrais lui flanquer un perroquet, c’est un cœur simple.
Au premier étage, ce sont des voyageurs qui changent tout le temps. On pourrait les nommer Courandair, Vaquejtepousse, Kerouac, London, Miller. À gauche. Sur la droite, je ne me souviens plus. Monsieur Céline était-il de droite ? Il était juste gueulard, ça c’est sûr. Une fois sa porte fermée, il s’engueulait lui-même, très copieusement. Sinon, c’était un homme doux la plupart du temps, voire serviable, dans certaines limites toutefois.
Mademoiselle Choublanc vivait au second étage, porte gauche. Elle n’avait pas d’âge, et sa vie n’était qu’une succession de naufrages. Voyageuse médicale, elle approvisionnait une bonne partie des locataires de l’hôtel en cachetons et en revues spécialisées sur le cancer, la prostate, le panaris et les régimes Seignalet.
En face logeait un grand Noir, fort comme un Turc, qui bossait sur les chantiers de travaux publics comme grouillot. Un grouillot avec une belle tête de griot. Il s’appelait Akim, était marié, avait cinq enfants. Le dimanche, il faisait frire des sardines dans un faitout.
Au troisième étage, il y avait des water-closets au fond du couloir. Juste en face de la porte de Madame Macmich, une veuve écossaise qui tirait le diable par la queue. Sa retraite était si maigre qu’une fois le terme payé, elle devait faire les fins de marchés. Elle s’entendait bien avec Jimmy, qui vivait à l’entresol, porte droite. Ensemble, ils chantaient du Bob Marley en buvant des Despés. Ça formait un couple insolite au début, mais au bout de six mois, on n’y pensait même plus.
Après, au-dessus du 3ème l’escalier devenait plus étroit. On parvenait aux archives akashiques, lieu de mémoire de tous les ex-voyageurs ou habitants de cet hôtel. Peut-être même que ces lieux réunissaient tous les habitants de tous les hôtels de la ville. Et pourquoi pas de tous les hôtels de toutes les villes du monde. Des couches historiques à n’en plus finir, un véritable millefeuille. On pouvait y trouver pêle-mêle Ravaillac, quelques jours avant le passage du chariot d’Henri IV le queutard. La belle Sémiramis, déguisée en petite bonne bretonne, jouait à la coinche avec la marquise de Brinvilliers, femme de lettres et empoisonneuse, fraîchement extradée depuis Liège vers la Conciergerie.Un genre d’hôtel, d’ailleurs, où sévissait jadis la Justice, aveugle comme on le sait. Ronsard venu visiter les roses de Bagatelle, François Villon s’en revenant de Londres, très âgé et un peu désabusé. Le clown Grock partageant le boulet de canon du baron de Munchaussen. La petite Anne Franck en train d’écrire son journal intime, derrière la fenêtre de sa chambre on peut voir encore un géranium en fleur, et au-delà un Gracht avec de belles péniches colorées à Amsterdam. Quand on commence à voir on voit tant de choses. Surtout au présent. La solution est de se réfugier dans le passé, astuce connue des nostalgiques et des autruches. Il suffit donc d’écrire « on pouvait voir, on pouvait apercevoir »
On pouvait aussi, sans grande peine, apercevoir des fumeurs d’opium et de haschich, allongés sur des lits une place. Ils n’ont pas de noms, ce sont des anonymes. C’est là, dans les volutes des pipes à eau et des narguilés, que se forment les noms de poètes célèbres comme Baudelaire, Nietzsche ou Pastoureau.
Au bout de l’horizon du 3ème se dresse une autre porte, qui donne sur un lieu sans nom. Là vivent des personnages à venir. Ils sont les émanations des égouts des villes, grimpant par les conduits en plomb depuis l’abîme du temps vers la surface. Ils s’agrippent comme des cafards aux cloisons, mais se heurtent à un plafond de verre situé à la hauteur du troisième étage. Juste après, on ne sait pas ce qui advient. Peut-être qu’on ne le saura jamais.
ils sont bien plus vivants que sur une simple liste des noms, sans même le lien avec un emplacement, là ils sont eux en quelques mots…
merci
J’essaie d’éviter les listes de noms, ça évoque des mauvais souvenirs , Merci Brigitte !