Ascension : son prénom espagnol, pivot solaire. Au pied levé, berce et chérit un bébé dont la mère sa voisine s’est effondrée après le décès brutal de son mari. Chante en cuisinant des paëllas andalouses. Deviendra nourrice agréée, précédée par sa rayonnante réputation.
Idir Beraj : adolescent dans une famille nombreuse. A galéré, puis découvert la médecine chinoise. A bourlingué. Europe en vélo. Chine. Retour. A ouvert son cabinet dans une ancienne ville nouvelle, pas loin. Les problèmes de santé n’entament pas sa bonne humeur. Même quand il fait les courses.
Adrienne , agent territorial spécialisé des écoles maternelles tous les jours à l’entrée de Saint-Ex, avec la blouse de sa fonction, entoure, rassure, réconforte, réchauffe le peuple des petits êtres venus de la cité. Comme eux, elle vit dans le quartier mais le soir, retire sa blouse.
Bernardito Carneiro, travaille dans les espaces verts après avoir vécu ses belles heures d’enfance entre bâtiments en fer-à-cheval et petites collines. A partagé ses souvenirs sur le Net. A cessé de partager ses souvenirs sur le Net.
Flore Cendret, la trentaine. Toujours avec son sac à carnets, ses flûtes à bec, ses pinceaux. Travaille dans l’animation. Parle de retour aux sources. Connotée Peace and Love, ce qui commence à être sérieusement démodé. Persévère.
Chico, né à Paris, a grandi dans le quartier, adore Aznavour. Un peu plus âgé que les autres, perçu comme sage mahboul, a osé se lancer dans la chanson (parolier, avec espoir de présenter ses textes à Charles). Chante dans un petit cabaret à Paris, sans dire son origine par peur de ne pas faire carrière. Impressionne les adolescents par son aplomb.
Paul Cressonet, depuis trente ans médecin généraliste du quartier. Se déplace à domicile quand il peut et c’est souvent. A exercé en Afrique. D’où les astuces adaptées à de nombreuses situations : chauffer à blanc un trombone pour percer l’ongle comprimant un hématome sous l’orteil, ponctionner sans anesthésie avec un trocart le liquide synovial accumulé suite à une entorse du genou etc. Va finir par prendre sa retraite.
Adélaïde Dulac née Le Fier de La Ruisselle, petite dame âgée aux deux hanches refaites. A beaucoup travaillé, beaucoup mis au monde. Ne sort plus. Ecoute Radio Classique dans sa cuisine. Confidente d’une petite fille solitaire quatre étages au dessous.
Léon Dulac, son deuxième mari. Expert-comptable retraité, a sauvé Adélaïde du désespoir un jour qu’elle pleurait sur la plage de Dunkerque en fumant une cigarette mentholée après un divorce infâmant. Trésorier de l’Amicale des Locataires, joue du violon quand il est invité.
Lucie Dutien. Maman solo d’un petit garçon, obtient un petit deux-pièces au plus fort de la crise. S’organise pour que coïncident retour de l’école pour l’enfant et sortie du travail pour elle. Secrétaire d’un pépiniériste au carrefour. Aime ce qu’elle fait et espère un jour pouvoir donner un autre père à son fils. En attendant, suit de près la vente des plants et graines.
Has, adolescent, se souvient d’un Maroc qui n’existe pas forcément. Découpe dans les journaux titres, phrases qu’il colle ou recopie dans un cahier de citations. Celle qu’il préfère ce jour-là : « Si on me cherche, on me trouve. Et réciproquement ». Cherche à expliquer sa vie à des professeurs mais les insulte faute d’y arriver. Sèche. S’éloigne.
Kossi étudiant en sociologie, venu de Côte d’Ivoire, développe la dimension sociale de l’accompagnement en ayant décroché un CDD qui lui permet de rencontrer les habitants et de faire en sorte que les habitants se rencontrent. Il dit que dans son pays un enfant qui ne danse pas est un enfant malade. Il se réjouit quand il pleut. Écrit un mémoire sur les lieux.
Danette Leblant est seule-avec trois fils inséparables, témoins de sa vie et presque gardes du corps. Il semble qu’elle soit en long arrêt mais rêve d’être assistante quelque part. Promet de déposer des plaintes contre ceux qui ne la comprennent pas, dénonce les voisins auteurs d’incivilités.
Victor Le Vif, enseignant, vit au premier et donne tous les coups de main possibles. Ecrivain public pour ceux qu’étouffent jungle paperassière et jargon, croit dur comme fer aux lendemains qui chantent. S’évertue mais crée la méfiance : il en sait trop. Ou pas assez
Elsa Liq, vingt-cinq ans fait des petits boulots et des économies pour réaliser son rêve : être esthéticienne aux Etats-Unis. S’entraine à domicile. Les réseaux n’existent pas encore. Ses parents voudraient bien qu’elle trouve sa voie, qu’elle parte. Ils servent de cobayes pour les essais bonne mine en attendant.
Mimi. Avec toute sa famille au même endroit depuis le début. Fière d’être là, ayant essaimé comme dans un village. Ses souvenirs ont pris racine et lui donnent de l’énergie. A des enfants. Dit : « Pour eux, les fréquentations, c’est le plus dangereux ». Travaille dans les plantes- fleurs-cadeaux-épicerie fine-aliments- pour- animaux. Se réserve pour le sud riant en février. Ne se laisse jamais abattre. Dit-elle.
Salto Mireterre, artiste. Utilise les restes. Fait de grands collages en mêlant boîtes de conserve, cannettes écrasées, morceaux de verre, papiers déchirés, branches de poiriers abattus ; peint la nuit avec un collectif de graffeurs les trains abandonnés au bout des voies. Est aussi peintre en bâtiment (côté alimentaire et récupération des fonds de pots). Cherche un atelier hors de l’appartement trop petit dont il ne paie plus le loyer.
Arnis Miso, gardien réputé pour son grand cœur : aide les locataires à porter dans l’escalier un meuble qui ne rentre pas dans l’ascenseur, trouve quelqu’un pouvant changer une serrure pour pas cher, répond aux demandes. Commence à trouver que ça fait un peu beaucoup et dit : « Ils ne sont jamais contents ». Cherche à partir.
Pedro Paz, jeune chilien. Sa famille a voulu déménager mais lui a tout fait pour rester près de son enfance. A trouvé du travail (entretien du cimetière de l’autre côté de la rue). Investi d’une sorte de mission : » le Local, c’est sacré », lance-t-il aux anciens enfants en les suppliant de ne pas rester là à attendre dans un nuage de fumée que ça leur tombe tout cuit dans le bec. Il sait se faire apocalyptique et prêche la bonne parole.
Sekou le souriant, préposé aux encombrants. Habite ici ou là. Ramasse même les tas éclectiques que les entreprises sans scrupules déposent dans l’enceinte, ajoutant incognito des dépôts sauvages aux dépôts autorisés. Trie, se fait aider par ses frères d’exil, entrepose là où il faut, on sait où. Emballe, transporte, revend, envoie les bénéfices à sa famille en Afrique où il retourne une fois par an. Ses enfants poursuivent des études. Il est heureux pour eux.
Asma Tahir, adolescente dans une famille nombreuse. Père disparu. Fait des études de philosophie. A le goût de la liberté. Rencontre un sage ténébreux. Se marie. Se voile de noir. Quitte les lieux des premières découvertes. Met son intelligence au service de la liberté selon elle : libre de se voiler. Employée par une municipalité connue pour son engagement. Réalise avoir fait fausse route. Violences conjugales. Divorce. Se dévoile. Devient cheffe du service des réfugiés et migrants. Tête nue. Tête haute.
J’ai été captée dès le premier personnage. En quelques mots chacun prend vie. Et très sensible aussi aux noms, un exercice hautement périlleux pour moi en tout cas. Et là tout fonctionne. Hâte de vous lire à nouveau.