#LVME #05 | extérieur – jour : un repérage

C’est un dispositif, une succession de prises de vues suivant un déplacement longitudinal, progressant par paliers, du bas vers le haut; une succession d’images réalisée à l’aide d’un appareil argentique standard, en vue d’un collage pour restituer une image complète du sujet : un immeuble et sa rue ; dispositif image qui évoque celui de l’artiste plasticien Anglais avec ses polaroïds, ou ceux de repérages de films avant l’ère de la numérisation et des logiciels de retouches. C’est une espèce de mosaïque d’images, ou de puzzle, ici donc, la vue, extérieure-jour, d’une façade d’immeuble avec : rue, trottoir et ciel.

Elle avait, des mois plus tôt, esquissé la façade dans son carnet – son mémo de poche –, au stylo à plume noir; les huit étages aux fenêtres rectangulaires; la plate-bande d’herbe rase; le trottoir; même la passante chargée de cabas qui regardait le ciel, même le masque qui dissimulait le bas de son visage : et le chien sans attache qui la suivait.
Elle se refusait de prendre tout de suite des photographies : d’abord elle esquissait, croquis qu’elle accompagnait de courts textes, commentaires ou phrases en friche. Dates, couleurs, état du ciel.
Elle s’était souvenue de cet immeuble dans le quinzième arrondissement, proche du métro aérien : une amie y avait vécu . Il lui semblait, intuition vague et persistante, que cet immeuble correspondait au projet : un film, entre documentaire et fiction.
Elle était venue « en repérage » . Elle avait dessiné; elle avait écrit. Elle était revenue photographier. Elle avait même enregistré le silence.

C’est une série de photographies, une composition en deux dimensions d’images plus ou moins raccord, collées entres elles: 36 poses de format 10/15, au scotch invisible repositionnable ; elle a fixé l’ensemble au mur de la chambre qui lui sert d’atelier à l’aide d’une pâte jaune modelable ; elle avait pu déplorer après coup des traces au points de fixations , comme des empreintes de doigt ; la colle modelable exsudait.
Le regard balaye l’ensemble ; il oublie les disjonctions, les sauts de perspectives ; il corrige les faux raccords ; concentré sur la totalité il laisse de côté les détails, fusionne les lignes; les images se fondent à la totalité : c’est une rue, devant un immeuble, un immeuble des années 1980, moderne mais déjà daté, dirait-on. C’est une façade. On Remarque les lignes horizontales répétitives : une bande blanche court sous les fenêtres, un étage sur deux, sur toute la largeur du bâtiment.
Elle croyait se souvenir, ou bien l’avait-elle rêvé, qu’en rendant visite à son amie quelques années plus tôt, au sixième lui avait Isabelle, l’immeuble avait une particularité troublante :les boutons de l’ascenseur n’affichaient que des numéro pairs. Au sixième, le palier de l’appartement de son amie débouchait sur un escalier intérieur étroit et raide par lequel on rejoignait l’étage impair, – son amie habitait en réalité au cinquième –, particularité qui ne se devinait pas de l’extérieur; elle avait tenté, dans ses notes, de rendre compte de cette histoire « d’étage dans les étages ».
Une impression de beige rosé, de gris, et de bleu ; on ne remarque pas aussitôt les images noires et blanches parmi les couleurs – une série de quatre en noir et blanc vers le milieu de l’assemblage, d’autres disséminées –, à cause d’une inversion de pellicule, une stupide histoire de changement de sac, des images perdues avaient été refaites en noir et blanc; erreur qui ajoutait une sorte de mystère à l’ensemble, du moins une étrangeté.
On voit une rue, un trottoir, on voit cette façade d’immeuble des années 1980 ; le ciel, le beau ciel de ce jour-là . On pense l’été. Des détails affleurent : au parterre de pelouse rase, un buisson de fleurs jaunes; le vélo arrimé ; cette trace plus sombre, floue, un chien peut-être ; aux fenêtres rectangulaires, certaines ouvertes, une ombre ; le ciel d’un bleu idéal avec nuée d’oiseaux, impression de vert acide ; quelque chose flotte , qui part d’une fenêtre, une forme animale : un cerf-volant, sorte de chat, de tigre plutôt, comme on en voit au fête du nouvel chinois. Sur la troisième image en redescendant, tout en bas en partant de la gauche, on devine un petit mécanisme d’arrosage avec son jet d’eau il dessine des ocelles dans la lumière comme des bulles à facettes; l’eau a formé une flaque sur le trottoir, une flaque où boit un cheval, un cheval pie; une femme est assise parterre, un rat posé sur l’épaule ( elle avait peur de s’ennuyer : elle inventait des choses. Elle dérivait )
 .
Dans le hall, par la baie, une entrée d’immeuble en verre, comme une vitrine, qui se confond avec celle du primeur à droite du bâtiment, par transparence on devine un empilement, des cartons de déménagement certainement –– si elle avait dit des corps en état de décomposition, j’aurais pensé, elle recommence, elle fabule, en plus elle se répète, elle nous ressort ses images, toujours les mêmes, elle tourne en boucle, elle s’enferre dans ses histoires. Regarde ce qui est, je lui aurais dit: Regarde, c’est tout.
Regarde les étages de fenêtres jusqu’au ciel limpide; regarde les balcons, les volets roulants, plonge dans les fenêtres ouvertes; traverse les vitres closes; note la couleur d’un rideau ; vois ce mobile de CD rom en épouvantail sur le balcon du troisième ; cette main qui se tend, la fumée qui monte ; vois quelqu’un qui se penche, cette robe; ce pied, celui d’un enfant ; ces reflets ; cet envol de perruches; entends cette chanson qui revient

A propos de Nathalie Holt

voilà ! ou pas

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