#LVME #04 | baissant les yeux parcourant les murailles

Par terre, il y a de la glaise battue et rebattue par le sabot lourd des bovines. Aux murs de torchis rendus beiges par la crasse tricentenaire, les déjections organiques asséchées pullulent de haut en bas couleur marron kaki, et force toiles d’araignées inventent des mezzanines pour l’hiver. Les mouches et les autres insectes y dessinent immobiles des motifs inquiétants. La lumière vient d’une antique fenêtre aux quatre carreaux empoussiérés et d’une ampoule blafarde et maculée suspendue à deux fils rouges. La grosse poutre du plancher au dessus la retient entre deux clous tordus. L’interrupteur en porcelaine blanche est fixé sur le mur de pierre à droite de la large porte d’entrée voûtée. Les fils ne sont pas isolés, ils sont plaqués et amarrés où ils peuvent autour de clous en U. Au beau milieu serrées comme des sardines, quatre vaches indolentes, une grosse chaîne pesante autour du cou, elles ont toutes un prénom. C’est l’heure de la traite. Elles attendent en remuant leur vigoureuse queue chasse-bestioles. Elles mâchent un peu de foin dans leur mangeoire devant leur tête énÔrrr…me vue de près. Leur grand œil latéral nous surveille. Leurs cornes sont tranquilles. Elles nous connaissent. elles sont craintives. Auprès d’elles, on fait les fier.e.s à bras. On aime aussi les conduire et raccompagner au pré avec un chien et une baguette anti-fauche entre les pieds de vigne. Parfois l’herbe des sentiers ne leur suffit plus. Ce sont des gourmettes chapardeuses. Gare au voisin ! Les murs sont pour elles une prison à la mauvaise saison. La suave odeur du lait au pis nous monte à la bouche. Mais il faut le filtrer. Attendre comme elles l’ont fait. Ici on se sépare des veaux. C’est toujours déchirant. Ne pas confondre vaches laitières et vaches allaitantes, ce n’est pas le même métier ! Les vaches à viande c’est encore autre chose. Et on déteste le vétérinaire inséminateur avec ses manières cruelles. Il fait parfois gicler du sang sur les bêtes et les sabots. Nos copines meuglent d’effroi. On oublie avant qu’il recommence. Et il se fait payer cher en plus. Georgette rouspète. Elle aime bien les petits veaux elle aussi. Lucien est plus dur. C’est le boulot qui veut çà , dit-il …Il se moque de nous avec sa voix rocailleuse. On l’évite.

Dans un lieu féerique, les fées n’apparaissent pas.

Elles s’y promènent invisibles.

Elles ne peuvent apparaître aux mortels que

 sur le plancher des vaches.

Jean COCTEAU, Antigone

A propos de Marie-Thérèse Peyrin

L'entame des jours, est un chantier d'écriture que je mène depuis de nombreuses années. Je n'avais au départ aucune idée préconçue de la forme littéraire que je souhaitais lui donner : poésie ou prose, journal, récit ou roman... Je me suis mise à écrire au fil des mois sur plusieurs supports numériques ou papier. J'ai inclus, dans mes travaux la mise en place du blog de La Cause des Causeuses dès 2007, mais j'ai fréquenté internet et ses premiers forums de discussion en ligne dès fin 2004. J'avais l'intuition que le numérique et l 'écriture sur clavier allaient m'encourager à perfectionner ma pratique et m'ouvrir à des rencontres décisives. Je n'ai pas été déçue, et si je suis plus sélective avec les années, je garde le goût des découvertes inattendues et des promesses qu'elles recèlent encore. J'ai commencé à écrire alors que j'exerçais encore mon activité professionnelle à l'hôpital psy. dans une fonction d'encadrement infirmier, qui me pesait mais me passionnait autant que la lecture et la fréquentation d'oeuvres dont celle de Charles JULIET qui a sans doute déterminé le déclic de ma persévérance. Persévérance sans ambition aucune, mon sentiment étant qu'il ne faut pas "vouloir", le "vouloir pour pouvoir"... Ecrire pour se faire une place au soleil ou sous les projecteurs n'est pas mon propos. J'ai l'humilité d'affirmer que ne pas consacrer tout son temps à l'écriture, et seulement au moment de la retraite, est la marque d'une trajectoire d'écrivain.e ou de poète(sse) passablement tronquée. Je ne regrette rien. Ecrire est un métier, un "artisanat" disent certains, et j'aime observer autour de moi ceux et celles qui s'y consacrent, même à retardement. Ecrire c'est libérer du sentiment et des pensées embusqués, c'est permettre au corps de trouver ses mots et sa voix singulière. On ne le fait pas uniquement pour soi, on laisse venir les autres pour donner la réplique, à la manière des tremblements de "taire"... Soulever l'écorce ne me fait pas peur dans ce contexte. Ecrire ,c'est chercher comment le faire encore mieux... L'entame des jours, c'est le sentiment profond que ce qui est entamé ne peut pas être recommencé, il faut aller au bout du festin avec gourmandise et modération. Savourer le jour présent est un vieil adage, et il n'est pas sans fondement.

Un commentaire à propos de “#LVME #04 | baissant les yeux parcourant les murailles”

  1. ce texte remue; des images fortes dures et enveloppantes. Il semble qu’on peut toucher sentir, choses et bêtes. Et « leur grand œil latéral nous surveille  » vaches indolentes avec prénoms (le lait son odeur qui monte à la bouche ) et la dureté sourd. Merci

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