Par terre, il y a de la glaise battue et rebattue par le sabot lourd des bovines. Aux murs de torchis rendus beiges par la crasse tricentenaire, les déjections organiques asséchées pullulent de haut en bas couleur marron kaki, et force toiles d’araignées inventent des mezzanines pour l’hiver. Les mouches et les autres insectes y dessinent immobiles des motifs inquiétants. La lumière vient d’une antique fenêtre aux quatre carreaux empoussiérés et d’une ampoule blafarde et maculée suspendue à deux fils rouges. La grosse poutre du plancher au dessus la retient entre deux clous tordus. L’interrupteur en porcelaine blanche est fixé sur le mur de pierre à droite de la large porte d’entrée voûtée. Les fils ne sont pas isolés, ils sont plaqués et amarrés où ils peuvent autour de clous en U. Au beau milieu serrées comme des sardines, quatre vaches indolentes, une grosse chaîne pesante autour du cou, elles ont toutes un prénom. C’est l’heure de la traite. Elles attendent en remuant leur vigoureuse queue chasse-bestioles. Elles mâchent un peu de foin dans leur mangeoire devant leur tête énÔrrr…me vue de près. Leur grand œil latéral nous surveille. Leurs cornes sont tranquilles. Elles nous connaissent. elles sont craintives. Auprès d’elles, on fait les fier.e.s à bras. On aime aussi les conduire et raccompagner au pré avec un chien et une baguette anti-fauche entre les pieds de vigne. Parfois l’herbe des sentiers ne leur suffit plus. Ce sont des gourmettes chapardeuses. Gare au voisin ! Les murs sont pour elles une prison à la mauvaise saison. La suave odeur du lait au pis nous monte à la bouche. Mais il faut le filtrer. Attendre comme elles l’ont fait. Ici on se sépare des veaux. C’est toujours déchirant. Ne pas confondre vaches laitières et vaches allaitantes, ce n’est pas le même métier ! Les vaches à viande c’est encore autre chose. Et on déteste le vétérinaire inséminateur avec ses manières cruelles. Il fait parfois gicler du sang sur les bêtes et les sabots. Nos copines meuglent d’effroi. On oublie avant qu’il recommence. Et il se fait payer cher en plus. Georgette rouspète. Elle aime bien les petits veaux elle aussi. Lucien est plus dur. C’est le boulot qui veut çà , dit-il …Il se moque de nous avec sa voix rocailleuse. On l’évite.
Dans un lieu féerique, les fées n’apparaissent pas.
Elles s’y promènent invisibles.
Elles ne peuvent apparaître aux mortels que
sur le plancher des vaches.
Jean COCTEAU, Antigone
ce texte remue; des images fortes dures et enveloppantes. Il semble qu’on peut toucher sentir, choses et bêtes. Et « leur grand œil latéral nous surveille » vaches indolentes avec prénoms (le lait son odeur qui monte à la bouche ) et la dureté sourd. Merci