#LVME #03 | T majuscule en police Garamond

La cuisine et les pièces attenantes du bâtiment collectif ont la forme d’un T majuscule en police Garamond. Les empattements disent les trois portes menant vers l’extérieur quand on est à l’intérieur ou l’inverse. Dans la barre horizontale du T, la cuisine en elle-même, deux profonds éviers en inox, robinet avec douchette, normes collectivités, adapté à la confection d’une dizaine de repas minimum. Deux grandes plaques au gaz et deux plus petites permettant de chauffer des casseroles de volume classique et des gamelles en alu de grand diamètre. Juste au-dessus des éviers, quatre grandes fenêtres, vue sur le chenal, horloge intégrée par la hauteur de l’eau, les cailloux affleurants, ceux qui sont immergés ou encore bien au sec. Grand four au gaz, rustique mais fiable, il sert pour le pain tous les deux ou trois jours. Pas de pétrin électrique, mais un coin dédié au pain et de l’autre côté du couloir central de la cuisine, une belle caisse en bois, bien isolée pour laisser lever la pâte, fenêtre en double vitrage pour voir à l’intérieur sans avoir à ouvrir la porte. Côté pain, une grande remise accessible depuis l’extérieur comme depuis la cuisine pour stocker les provisions, conserves, légumes d’hiver dans des caisses posées directement sur le sol, et au-dessus, étagères avec bocaux en verre, gros bidons en plastique étanches, étiquettes soigneusement rédigées avec noms et dates. Coin spécial pour les épices et herbes aromatiques séchées, dans des bocaux ou en bouquets pendus tête en bas à longue barre de bois où pendent également trois saucissons et un jambon déjà bien entamé. Retour dans la cuisine, quand on tourne le dos aux fourneaux et à l’évier, le mur est couvert d’étagères aux planches elles-mêmes couvertes de casseroles, plats, grilles, bocaux, couvercles, piles de torchons et sur chaque montant, un crochet bien garni, tabliers, torchons, maniques, liste de plusieurs couleurs et plusieurs écritures, certaines lignes barrées, des petits dessins maladroits, flèches, et le crayon pendu à sa ficelle et taillé au couteau. Un peu plus loin sur le même mur, l’étagère est plus basse, dessous de plat en bois, de différentes tailles, différents styles, assemblages compliqués, bois de différentes essences, véritables œuvres d’art. Dessous, caisse avec ustensiles, visible sur le dessus, le batteur mécanique, roues dentés et engrenages, avec poignée en haut pour maintenir l’ensemble bien droit et vertical dans la préparation pendant que l’autre main tourne la manivelle, à peine sec et rangé de l’omelette du matin. À côté, le moulin à café, poignée refaite à neuf, bois un peu plus clair par manque de patine, pour cause de trop d’usure de celle d’origine qui avait la couleur sombre et dense des grains, la même, juste en plus mat, que le reste du moulin, la coupole en simili cuivre qui pivote à moitié pour pouvoir mettre les grains, et le fameux tiroir, toujours plein à ras bord de l’odeur du café même lorsqu’il est vide. Sur le mur à côté de la porte qui donne vers la plonge, la branche de gauche du T, un râtelier à louches, grosses cuillères, spatules, et autres cuillères à pot, pour la plupart en bois, fabrication maison, certaines avec des manches sculptés. Pour la plonge, pas grand-chose à dire, grands éviers, égouttoirs, étagère à clairevoies pour laisser sécher les gamelles et faitouts. Dehors le long du mur juste devant la porte, deux bancs, trois tabourets à l’abri de l’avancée de toit pour le petit café après le repas de midi, orientation idéale, à l’ombre en été, au soleil en hiver. Dans la barre verticale du T, le réfectoire. Plusieurs longues tables en bois, bancs, vaisselle sur l’étagère contre le mur de la cuisine et dans le coin opposé, quelques fauteuils et chaises, tabourets, deux tables basses, étagères aussi, jeux de société, bouquins et magazines, pour après les repas, quand les torchons mouillés sèchent sur l’étendoir à côté du poêle rond, sur les vieilles caisses de pommes dans lesquelles buches fendues et petit bois d’allumage attendent les soirées fraiches et le froid de l’hiver pour finir dans le poêle

A propos de Juliette Derimay

Juliette Derimay, lit avidement et écrit timidement, tout au bout d’un petit chemin dans la montagne en Savoie. Travaille dans un labo photo de tirages d’art. Construit doucement des liens entre les images des autres et ses propres textes. Entre autres. À retrouver sur son site les enlivreurs.

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