Il reste dans l’air quelque chose du dernier cours — un soupçon de lard et de crème cuite. Difficile de comprendre à quoi s’accrochent ces odeurs dans l’immense salle carrelée de blanc avec ses 12 gazinières, ses plans de travail en aluminium brossé, ses lavabos en émail, ses frigidaires qui, malgré tout, continuent à vrombir. Si l’on ouvrait leurs portes on y trouverait : 7 œufs, 2 pots de crème d’Isigny, 1 barquette de lardons — on pourrait rire à lire les dates de péremption.
Dans cette salle on a préparé 12 quiches lorraines. 12 duos de cuisiniers amateurs, soucieux de leur moyenne trimestrielle, ont fouetté dans des culs de poule, étalé au rouleau les pâtes brisées, préchauffé les fours à 180 (pas évident avec ces vieilles gazinières Arthur Martin) et posé sur la grille leur préparation pour une quarantaine de minutes, en croisant les doigts.
Dans l’air flotte encore l’anxiété de la note, le soupir de l’ennui et, ceci s’ajoutant à cela, les odeurs de cramé mêlées à celles de crème cuite et de lard.
À présent, les paillasses, les lavabos, les plans de travail sont impeccables — quelqu’un a dû passer par là avec son Cif. On passerait un index à l’intérieur du four qu’on n’y trouverait pas trace de gras. Pareil sur les 6 robots Moulinex avec leurs cuves et leurs crochets à pâtisserie brillants. Pareil dans les larges tiroirs à ustensiles où tout semble neuf et tout est classé : les couteaux avec les couteaux, les fouets avec les fouets, les louches avec les louches.
Dans un placard mural, des piles d’assiettes Arcopal — 60, à vue de nez. Toutes les mêmes avec leur décor de bleuets et de coquelicots. Une soixantaine de verres Duralex, ceux avec l’âge au fond. De quoi nourrir une noce, un banquet d’anciens. Mais aucune cérémonie n’a eu lieu ici, dans ce long entresol qui donne sur la cour enneigée. Impossible de savoir comment l’air a pu conserver le résidu volatil des dernières quiches.
une bonne école – la recette de la quiche, pas d’appareil sophistiqué, pas de gaspillage et un entretien soigné.
Quant à l’auteur il sait faire passer la sensation de cette visite