Une grande table, une grande pièce, plusieurs fenêtres, une arrière-cuisine, plus une buanderie qui ferait suite avec tout le petit personnel auquel on accorde un confiance mesurée qui s’affaire – tabliers et gants et tout le tralala ? qui me fait souvenir de quelque chose (si ça me revient je le pose), mais non ici, quatre mètres carrés, un décrochement (à gauche et à l’intérieur duquel le chauffe-eau et les gaines d’évacuation eaux usées probablement d’autres), à droite une tablette (petit déjeuner au besoin) d’un mètre sur trente-cinq centimètres à l’angle arrondi pour éviter aux mômes de se blesser et au pied chromé quatre-vingt-cinq centimètres de haut, et dessous deux tabourets à vis bois brut – au dessus la radio, france mu france cu ou 89.9 mais non je ne l’allume plus, puis là au dessus un placard (dedans les pâtes, les lentilles, la semoule, les thés les tisanes les bols les miels et d’autres choses encore je suppose je ne vais pas voir, je travaille de mémoire) une (ah oui, un pot de mayonnaise offert par G. la semaine dernière : comment la mayonnaise tu ne la fais pas toi-même ? Non non…) (il doit y avoir des œufs dans le frigo) une fenêtre donc à meurtrière (collé à l’extérieur un thermomètre en forme de salamandre chacune des quatre pattes portant ventouse (ne fonctionne pas ou mal ou avec peine) fenêtre qui donne sur la cour de l’école à gauche, le grand jardin en face fermé d’une grille pour en interdire et empêcher l’accès en face, le prunus et d’autres espèces, le jardin au fond partagé ouvert les dimanches depuis deux semaines) (il s’agissait d’un réservoir d’eau, on y a construit ces immeubles après avoir effacé du plan les studios de la société française de production laquelle avait été installée là à la place de ceux de la Gaumont), puis le frigo (frigidaire est une marque crois-je me souvenir), surmonté d’un étage de congélation (pain, petits pois, sauces pestou réalisées en cônes à l’aide d’un moule en plastique particulier (j’ai oublié son appellation mais en caoutchouc synthétique rouge) (où se l’est-on procuré ? mystère du souvenir) pendu (voir plus loin), coquilles saint-jacques décortiquées pour Noël pain de glace glaçons glaces tout court une grille revêtue d’une mince couche de plastique blanc, de la fumée, on ferme) derrière la grande porte dessous, cinq ou six étages augmentés d’un bac à légumes dit-on (mais on y met ce qu’on veut), dans la porte trois (ou quatre ?) compartiments (en bocaux câpres anchois moutarde piments forts olives ; beurre citron coupé en deux, ampoule de vaccin oubliée là par Z. lait boite-boisson de bière laissée là par C. bocal d’olives noires) (des bocaux de piments forts, de moutardes espiègles, d’autres condiments oui cornichons et petits oignons) (du beurre peut-être pas salé – mais je n’en mange plus – un compartiment à œuf six emplacements, un œuf cuit et dur) toutes sortes de bocaux sur les étagères transparentes, dans le bac les légumes (un navet plus des carottes des épinards – cent cinquante grammes peut-être dans un papier – un demi chou frisé) et deux paquets d’olives noires en prévision des tapenades futures puis continuant le panoramique droite-gauche, une espèce de meuble tout en longueur (au dessus, un réceptacle à oignons rouges (bleu en céramique) citron poires et pommes, plus un équipement ménager (bouilloire électrique) à quatre roues et trois étages, en bas les huiles à droite, campari grand-marnier ouzo à gauche (non c’est l’inverse) plus autres choses (vinaigre en réserve oui) au dessus les épices (un grand nombre) au dessus encore le bac à oignons et ail ou aux peut-être échalotes (ah oui un petit ramequin contient des gousses d’ail jouxtant la bouilloire) (terre cuite dans les marrons – ou bois sculpté) c’est à peu près tout sur le côté donc du frigo (on abrévie et ça devient un nom commun) là le meuble à deux portes avec deux éviers, un truc pour poser la vaisselle et qu’elle s’égoutte (un autre est pendu au mur d’en face) le robinet à mélangeur, les grilles qui empêchent et interdisent le passage aux trop gros morceaux de restes victuailliers ou miettes ou autre (dans le frigo, des ramequins de restes aussi, certainement) pendu à une porte, la poubelle tout-venant, à l’intérieur du placard (le siphon mais enfin passons) les casseroles, les outils plus ou moins électriques – les plats à four empilés les plats à tartes, un sac en papier dans lequel on trouvera des pommes de terre, un rouleau à pâtisserie, des sacs (dont deux ou trois paquets compostables que je suis allé chercher rue de Meaux soixante-six un jour, au fond de la cour, premier étage à droite – une femme imposante et sympathique me reconnut « ah oui vous étiez devant l’église ? » et en effet je revenais du marché – un sac de sacs en plastiques, je crois que c’est tout mais j’en oublie, on s’en fout) à gauche les trois feux électriques de la plaque de marque allemande crois-je savoir, dont un à trois positions, ça clignote ça bipe en rouge, ça brûle ça chauffe moins bien que le gaz mais on fait avec ce qu’on a – ici à gauche le plan de travail, au dessus du four (lequel contient une grille, une plaque de métal et puis quoi, non rien d’autre) (mais si la lèche-frite, non, elle se trouve sur le côté, à droite sous la plaque électrique qui bipe rouge, il y a là aussi un nécessaire à fondue crois-je savoir, plus une bouteille non-entamée de cognac arménien donné par le locataire du studio il y a cinq ans (je ne dévoile que peu en indiquant qu’il se prénommait Artak), d’autres choses que j’oublie, plus un meuble en plastique transparent (mais sans roue) à quatre tiroirs (les éponges, plus les films plastiques, plus les sucres dont les petits paquets de vanillé roses – ce qui me fait penser que je n’ai pas pris en compte les deux étagères qui se trouvent au dessus des éviers (car en effet ils sont deux) et du frigo esseulé : deux pots (un café (moulu, à la machine chez le vraqueux), un sucre – c’est pour ça), un pot de farine, une bouteille en forme de feuille d’érable contenant du sirop d’icelui, plus des assiettes, plates à soupe à dessert (de l’ordre de sept ou huit ou dix chacune) d’abord, puis plus haut un plat à tagine, une cocotte minute (marque déposée je crois bien), une marmite, les grands plats et une grand saladier (il y a aussi des saladiers (dont un offert par A. à son retour d’Algérie) sous les éviers, avec les plats à tarte, c’est vrai, oui) derrière celui (ou celle) qui fait la vaisselle, une grille portant des « S » qui eux portent des passoires (deux pour les pâtes et le riz stuveux, l’une en ferraille malcommode, une autre en plastique opakblanc), des casseroles (plus petites ou pas), des râpes, des outils (fusils, louches, écumoire, d’autres encore cuillères en bois, spatules, mouvettes et autres), sur le plan de travail (j’ai oublié, merde) des bouteilles (huile d’olive, vinaigre balsamique, de vin, une bouteille de vin (pinot noir pour le repas de dimanche soir avec les totos), le poivre (dans un moulin fort beau) et le sel (dans un – ça a un nom – et son pilon, céramique blanche pour le truc sans nom bois pour le pilon) (add.du dimanche suivant : le truc se nomme mortier) plus autre chose dont je ne me souviens plus) et aussi pendus là les moules à cake plus ceux en plastique spécial (dont on parlait pour le pistou ou le pesto j’en sais rien), et puis d’autres choses encore – au dessus du plan de travail, un placard à deux portes : les verres, les pots, les torchons, des trucs et des bazars (dont un petit tablier et une assiette spéciale ventousante pour B. qui n’a qu’un an et demi aux pelotes) je ne vois rien d’autre sinon que sur l’autre mur qui entoure (donc) le chauffe-eau et les gaines d’évacuation se trouve un autre grillage assez fort muni lui aussi de nombreux « S » lesquels portent suspendues les poêles à frire et puis autre chose – on a glissé derrière des cartes postales ou de vœux ou autres choses photographiques qui rappellent des souvenirs ou des gens ou des moments (ce qui fait que j’ai oublié que sur la porte du frigo comme sur son côté droit se trouvent quelques autocollants plus ce qui se nomment vilainement magnets, avec aussi des plaques aimantées portant des numéros de téléphone dont on ne se sert pas) (ah oui, sur la porte du placard (qui clôt donc le tour complet de cet espace) en son centre, collée, une carte postale de Lisbonne (on posera ici la photographie)
et l’ayant choutée (comme on dit quand on sait) je me rends compte des manques (sous la table du petit-déjeuner (s’il en est) des bidons d’huile d’olive, l’un très entamé, l’autre non) des sacs de sacs en papier, d’autres choses oubliées ; entre le placard et la fenêtre, la petite horloge en mosaïque achetée à Rome à côté du restaurant der Palario au menu unique; les cafetières sur le haut du frigo ainsi que le four à micro-ondes (je l’avais oublié celui-là, mais c’est normal je n’aime ni son aspect ni son bruit ni son travail); la bouteille d’huile piquante sur le plan de travail ; entre le four et le mur, la pelle et la balayette ; les poubelles en bas, là, la jaune pour les cartons la marron pour l’organique (les sacs afférents etc.) ; sur le haut du radiateur, sous les poêles, des boites d’œufs, vides, une bouteille de verre qui sert au vinaigre blanc (mais le vraqueux n’en a plus), vide elle aussi, d’autres choses encore) ( et surtout peut-être entre le plan de travail et le four : un tiroir qui contient les couteaux fourchettes cuillères petites et à soupe de tous poils outils autres boites à élastiques ficelles (une vieille pièce de monnaie qui voisine une vis) et tout le bataclan ne servant que peu, tout en sachant n’avoir rien dit des produits nécessaire aux entretiens divers, variés, nécessaires (en dessous de l’évier), des fils conduits prises électriques qui énergisent tout ce petit monde (j’ai oublié le grille-pain rouge sur le plan de travail), du petit entonnoir rouge encore qui pend à l’égouttoir, des ouassingues qui aussi pendent dehors, sur le petit balcon de la fenêtre meurtrière ni de l’ampoule sous cloche qui elle pendouille du plafond éclairant l’entièreté de la scène – le bouton poussoir, sur le mur, à droite, en entrant). Le pavement est en céramique blanche.
« je crois que c’est tout mais j’en oublie, on s’en fout ».
J’adore. Merci Piero
Merci à toi Ugo
Voici un texte délicieux de « vraqueux » inventoriste recruté par Georges Perec. Au début je croyais qu’on allait entrer dans le roman de Laure Murat PROUST ROMAN FAMILIAL avec « tout le petit personnel auquel on accorde un confiance mesurée qui s’affaire – tabliers et gants et tout le tralala ? » dont la famille a connu les fastes bourgeois Proustiens. Oui, mais non, on se retrouve dans une cuisine pleine comme un oeuf et remplie d’indices sur les habitudes culinaires des habitant.e.s ordinaires mais organisés, un huissier y trouverait des trésors pour la vente aux enchères même à un euro pièce… J’ai appris des mots comme « riz stuveux »… et je vois qu’on aime les goûts épicés dans cette maison. Le ton est joyeux un peu désinvolte et ça fait sourire tout du long malgré le côté fastidieux de l’énumération. Grand merci donc pour la visite et l’exercice de style. Je n’ai pas trouvé où étaient planqués les livres de cuisine… Sans doute tout se fait de mémoire dans cette opulente cuisine !
(le roman que vous citez est magnifique (d’autant plus qu’il m’a été offert par une de mes amies très chère) mais je n’y pensais pas, j’avais à l’idée une série anglaise – j’agonis les séries, et de son titre je ne me souviens plus) pour les livres, (il y a là un exemplaire d’un je sais cuisiner par Ginette Mathiot, albin michel couverture rouge tissée et fatalement tachée) dans l’entrée, à droite de l’accès à la cuisine (juste à côté d’une balance électronique) étagère numéro trois de la bibliothèque blanche :°))) Merci à vous
La salamandre ventousée… La carte de Lisbonne… la petite horloge en mosaïque achetée à Rome à côté du restaurant der Palario au menu unique…( c’est là que j’aimerais être attablée )
par ici on n’a ni mayonnaise, ni plat à tagine..
Ah le moulin à poivre indispensable : poivre et moulin …
ici les images aimantées au réfrigérateur encastré se cachent derrière une porte .
Merci pour la visite
à 13H30 on doit entendre les enfants dans la cour de récré
@Nathalie Holt : (quoi,pas de mayonnaise ???mais c’est indispensable…!!) oui pour les enfants – et l’espèce de sonnerie électronique… parfois le matin, vers six et demie passe la femme de ménage… Merci à toi