Un filet de vapeur vaguement blanchâtre qui s’échappe du soupirail d’une cave dans le jardin désert, file entre les montants en bois d’une chaise longue abandonnée, court sous la table ronde et s’enfuit au coin du bâtiment.
Vue de l’esprit
le courant d’air aime jouer avec la poussière et avec l’imagination de celui qui le surprend.
Il y avait ici même, avant que l’immeuble ne soit construit, un grand jardin potager qui donnait en abondance pourvu qu’il soit travaillé. Ce qui fut le cas de nombreuses années jusqu’aux dernières avant le chantier de construction de l’immeuble, où il fut abandonné à son sort. Il y avait aussi une vieille cabane en bois qu’un vieil homme habitait et devant, une petite tonnelle sous laquelle il aimait se reposer. Entre les montants de l’abri, le vent jouait avec la poussière et courait sous la table ronde.
Un cliquetis vaguement métallique qui résonne comme un air de musique dans le hall d’entrée dont l’écho rebondit sur les murs blancs de la cage d’escalier, franchit les portes de quelque appartement jusqu’aux oreilles d’un homme d’une femme d’un enfant.
Vue de l’esprit
c’est la dilatation des tuyaux du chauffage disent les uns, c’est l’immeuble qui grince, disent les autres. Même si c’est l’été, même si la bâtisse est de construction récente.
Parfois, le vieil homme sur la terrasse ombragée de son cabanon se mettait à chanter un air de musique de ses jeunes années, un air du siècle d’avant au rythme duquel il se souvenait avoir dansé. Il faisait tinter le verre avec son couteau pour l’accompagner et il riait de ce bonheur retrouvé. Et lorsque sur le chemin devant, passait un homme une femme un enfant, l’inconnu souriait et à son tour se mettait à chanter.
Une porte qui claque, un tableau qui se décroche, un bibelot qui tombe et vient se briser sur le sol faisant sursauter l’innocent, l’enfant qui lit tranquillement, le chat qui dort paisiblement, l’homme ou la femme qui rêve négligemment.
Vue de l’esprit
la porte est entrouverte, le tableau mal accroché et le bibelot, de toute façon, bon à jeter.
Le vieil homme somnolait sous la vigne vierge quand le coup de feu a retenti. Il a dû l’entendre, sursauter, commencer à se demander. La suite s’est envolée derrière un repli du temps, d’un corps changé en courant d’air, d’une vieille cabane en tas de planches, d’un grand jardin potager en immeuble de deux étages, sept appartements, garages, caves et local à vélos.