Pas de vagues, pas de vent. C’est le début de l’été. Soleil, des gamins se poursuivent en rigolant au milieu des éclaboussures, pieds nus dans le sable, dans les fines bordures du chenal aussi calme qu’un lac, à peine quelques plis lâches quand le courant s’échoue sur une île, un rocher. Dernier coup de godille, l’inspecteur laisse aller le bateau sur son aire pour ne pas échouer trop vite, la pelle encore dans l’eau en guise de gouvernail. Arrivée sur la plage, le sable gratte sous la coque dans un grognement long, l’inspecteur enlève son gilet de sauvetage, range soigneusement la godille dans le bateau, pelle vers l’arrière, prêt à repartir. La mer descend encore un moment, jusqu’à 12h09 d’après ses souvenirs, il vérifie les horaires sur le petit carnet noir à couverture cartonnée calé dans la poche de sa veste, jeter un coup d’œil aux cailloux alentours, à leur sec et à leur humide, pour vérifier, remettre le carnet dans la poche de sa veste, remonter la fermeture éclair pour éviter que le carnet ne glisse de la poche. Débarquer. Emmener le grapin un peu plus haut que le bateau, le planter dans le sable, juste pour être sûr. Vérifier. Coup d’œil vers le haut de la plage, le mur et ses anneaux d’amarrage, un reste de jetée qui s’avance vers lui, plus haut, les arbres. Sur la droite, il s’attarde. Les arbres, les buissons, un mur de végétation dont les mailles semblent lâches mais qui ne laissent rien passer, ne laissent rien deviner de l’objet de sa visite. Juste aller saluer qui se tient dans la grande salle de ces occupants actuels de l’autre moitié de l’île, celle qui ne l’intéresse pas. Répondre poliment que non, il n’a besoin de rien, qu’il a l’habitude, que c’est lui qui vient tous les ans vérifier que tout va bien et que rien n’a changé, il connaît bien les lieux et il vous croit sans problème quand vous dites que rien n’a changé, qu’il va juste faire quelques photos pour voir l’évolution de la végétation dans les ruines, voir s’il faut faire passer une équipe d’entretien. Mais que non, une ouverture au public n’est absolument pas à l’ordre du jour, vous savez, le patrimoine et les monuments historiques n’échappent pas à l’austérité et aux restrictions budgétaires, vous êtes encore tranquilles pour un bon moment si ça continue comme ça. Malheureusement pour le public, privé de toute cette richesse historique, de toute cette beauté. Etc… Sur place, il sort une pochette cartonnée bleue de son sac à dos, un plan à grande échelle des ruines du monastère du moine Budoc, venu de Grande Bretagne au cinquième siècle, fondateur de ce qui serait le premier monastère de la Bretagne armoricaine. Aussi sur le plan, mais cette fois en rouge, les ruines de la villa gallo-romaine du quatrième siècle, les restes de la chapelle construite longtemps après sont en vert. Les vestiges de la chapelle ne se devinent plus qu’à peine, pour les pierres de la villa et du monastère, difficile de suivre les murs sans l’aide du plan, mais les restes parlent encore haut et fort à qui sait décoder les signes. Quant au cimetière carolingien et mérovingien, c’est la partie du site la mieux conservée, l’ombre des grands arbres compliquant la tâche aux plantes qui voudraient pousser là. Avec son téléphone portable il prend quelques photos en ayant soin de cadrer large pour pouvoir resituer les images par rapport aux ruines. Le grand chêne fera office d’arbre remarquable pour servir de repère. Quelques traits, des flèches au crayon sur l’ancien plan, une ou deux annotations, l’inspecteur referme la pochette en carton et la range dans son sac à dos qu’il referme également. Sur la plage il retrouve le petit bateau en plastique orange qu’on lui a alloué à la mairie, il enlève ses chaussures, ses chaussettes, les range soigneusement à l’avant du bateau, remonte le bas de son pantalon et, bien calé, sur ses pieds nus enfoncés dans le sable, il pousse l’embarcation jusqu’à l’eau en se disant que la marée a drôlement descendu, mais qu’heureusement, le bateau est vraiment léger. Mais surtout, que pour rien au monde il ne viendrait là en hiver