(Un espace vide. Une lumière froide éclaire des ombres indéfinies. Par instants, une ombre massive s’impose, évoquant la silhouette d’un château. Les voix se succèdent, parfois se chevauchent. Elles apparaissent comme des entités autonomes. Pas de corps visibles, sauf pour l’ENFANT et le RECTEUR G., qui entrent et sortent de l’espace à leur rythme.)
LE CHÂTEAU
(Voix grave, lente, résonnante.)
Je suis ici depuis toujours.
Pierre sur pierre, mémoire sur mémoire.
Ils passent. Je reste.
Je les observe sans bouger,
et je les dévore.
LE PARC
(Voix mouvante, éparpillée, presque mélodique.)
Je frémis ! Je murmure ! Je m’étire dans le vent !
Ils courent ! Ils chutent !
Ils m’arrachent des feuilles,
et je les rends toujours.
Franchis-moi, si tu oses !
L’ENFANT
(Entrée en courant. Voix vive mais hésitante.)
C’est ici !
C’est ici qu’ils sont morts.
Et pourtant, c’est ici qu’on joue.
Pourquoi les murs nous regardent ? Pourquoi les pierres respirent ?
Je cours, je cours,
mais les arbres sont si grands,
et derrière eux, il y a… il y a…
LA LIMITE
(Un murmure qui surgit, coupant l’ENFANT. Elle parle par fragments, comme une pensée qui traverse l’esprit.)
Ne viens pas.
Viens.
Tu vois la ligne ? Non, tu ne la vois pas.
Viens quand même.
Tu veux me toucher ? Tu veux me briser ?
Viens ! Mais laisse tout derrière toi.
(Murmure plus fort, comme une incantation.)
Les os. Les corps. Les ombres. Les rires.
LE RECTEUR G.
(Entrée brusque. Il parle avec une rigidité presque mécanique, ses mots tombent comme des pierres.)
Silence.
Les règles ne bougent pas.
La prière avant tout.
Le parc est interdit.
(Le regard fixe, vers l’ENFANT.)
Tu crois pouvoir courir ? Franchir ?
Mais les pierres te regardent.
Elles te regardent.
UN PRÊTRE
(Voix monocorde, détachée, presque sans vie.)
Les enfants grattent les murs.
Ils cherchent des secrets dans les fissures.
Mais il n’y a que du vide.
Du vide et des souvenirs qui ne leur appartiennent pas.
(Pause.)
Nous avons survécu, mais nous ne vivons pas.
Nous gardons ce qui ne peut être gardé.
Nous reconstruisons, chaque matin, le château qui s’écroule.
L’ENFANT
(Regardant le RECTEUR G., mais s’adressant au public.)
Pourquoi est-il si grand ?
Ou bien… suis-je si petit ?
(Se tournant vers les ombres du parc.)
Les prêtres disent que c’est interdit,
mais c’est pour ça qu’on y va.
On y court, on y tombe,
et parfois, on n’en revient pas.
LA LIMITE
(Toujours murmurante, mais plus insistante. Elle semble répondre à l’ENFANT.)
Tu crois franchir ? Tu crois passer ?
Mais je suis partout.
Au bord de ton regard.
Au fond de tes rêves.
(Elle rit, d’un rire fragmenté.)
Tu m’aimes, n’est-ce pas ?
Parce que je te défie.
LE RECTEUR G.
(Fermement, avec colère.)
Retourne en arrière !
(À l’ENFANT, mais aussi à lui-même.)
Tu ne vois pas ? Ces ombres t’engloutissent !
Elles t’appellent, mais elles te briseront.
Elles m’ont brisé.
(Se reprend brusquement.)
Silence. Discipline.
LE CHÂTEAU
(Reprenant, lentement, comme une sentence.)
Ils sont tous passés.
Tous ont cru franchir,
mais ils sont restés ici, en moi.
(Le ton se fait presque mélancolique.)
Je suis pierre. Je suis mémoire.
Je garde tout, même ce qu’ils veulent oublier.
(Plus bas, presque inaudible.)
Les enfants courent. Les prêtres prient.
Mais moi, je veille. Toujours.
LE PARC
(Avec un souffle léger, comme un écho.)
Cours, enfant. Cours !
Les limites n’existent pas.
Ou peut-être que si.
Mais tu ne le sauras qu’après les avoir franchies.
L’ENFANT
(S’arrêtant, hésitant à franchir une ligne invisible.)
Je vois les limites.
Je ne vois rien.
(Se tournant vers le public, en chuchotant.)
Et si ce n’étaient pas elles qui me retenaient ?
Et si c’était moi ?
(L’ENFANT tend une main vers un point invisible, mais n’avance pas. Un long silence s’installe. Les lumières s’éteignent progressivement, laissant le murmure de LA LIMITE résonner dans le noir.)
Je suis trés interpellée parce texte, ce château et ce parc bruissant de son et de mystères
étonnant, très réussi.