#LVME #02 | Blanc Intact

© XG

La nuit dernière il a neigé. Dans sa loge surchauffée, la dame de l’accueil vaporise ses orchidées. Avec le froid dehors, l’hygiaphone est couvert de buée. Elle leur indique l’escalier à prendre, le couloir à longer. Il faut attendre face au bureau du fond. Le hall est vide et silencieux. Le carrelage, lavé à grandes eaux, brille. L’homme et le môme prennent l’escalier, longent le couloir et s’installent sur des chaises en plastique. Le chauffage marche à fond — une odeur de pétrole et de réglisse imprègne l’air. Au sol, des dalles de lino gris. Aux murs, du crépi acrylique, beige. Au plafond, trois paires de néons. Les portes des bureaux sont entrebâillées. Aucune lumière, aucune voix, aucun bruit de machine à écrire n’en sort. L’homme, une nouvelle fois, passe en revue ses documents, originaux sous pochette et copies en double exemplaires : pièces d’identité, justificatifs de domicile, certificat de l’ancien établissement scolaire, lettre du médecin. Le dossier est complet. Il se tourne vers le môme et rajuste le bonnet sur sa tête ensommeillée. Un téléphone se met à sonner dans un des bureaux. Un répondeur s’enclenche mais personne ne laisse de message. Le silence est si épais que l’homme et le môme entendent la cassette se rembobiner. Le temps passe. Bientôt, il est 10 heures. Une sonnerie assourdissante sort des haut-parleurs. Elle retentit trois fois. L’homme a les jambes engourdies. Il se lève et jette un œil au dehors, par la fenêtre couverte de poussière brune. En contrebas, la cour. La neige, sous le ciel qui menace, forme un tapis bosselé. Le blanc est intact, aucune trace de pas ne forme d’entaille.

A propos de Xavier Georgin

Xavier GEORGIN est auteur, animateur d'ateliers d'écriture et membre du collectif La Ville au Loin (https://la-ville-au-loin.fr/). Il écrit des textes où se rencontrent histoires familiales et traces dans l’espace urbain puis les met en son et en images sur son site internet www.xaviergeorgin.fr

4 commentaires à propos de “#LVME #02 | Blanc Intact”

  1. Très beau, l’ensemble de ces deux textes. J’entre dans un monde ouaté, silencieux et un peu menaçant, et pourtant quelque chose de calme s’impose dans la lecture. Belles présences, fortes, des choses, des lieux, des gens.

  2. Quelque chose de crépusculaire dans cette photo et dans ce texte de solitude silencieuse à deux teintée d’attente morne (administrative ?). L’orchidée est pour moi une plante de maniaques du jardinage oublieux ou précautionneux, entre les deux, la fleur fait ce qu’elle peut. Je ne sais pas si elle peut être éternelle comme la neige. Mais dans la loge de la concierge elle a ses chances. Les concierges deviennent rares, les orchidées sont partout dans les supermarchés et on peut les remplacer facilement si on les laisse aux abois sans boire. Elles préfèrent l’eau de pluie et pas trop souvent. Elles sont capricieuses et boudent la lumière sèche. Ce sont des fleurs de crypte en fait, elles supportent le silence. Elles me font peur avec leur gueule de goule. Je pense au môme, bien envie de le faire rire !

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