La ligne de crête découpe le bleu du ciel sans nuages. La densité végétale d’un vert sombre est comme griffée en son milieu et laisse apparaître une plaie béante de terre rouge. De loin il est impossible de discerner si de puissantes chutes d’eau se jettent dans la forêt puis serpentent en rivières, ravines, et cours d’eau jusqu’à la mer, reliant le bleu du ciel au bleu de l’océan. Il faudrait s’approcher pour distinguer une trace et chercher dans les fougères et les lianes la silhouette de l’homme suspendu à une corde bleue portant un casque jaune et s’assurant dans son baudrier à l’aide de ses jambes et de ses mains gantées sur la corde la descente de la cascade le mercredi 17 juin 2020 vers 10 heures du matin.
La pancarte qu’elle a posée contre le pied de son étalage indique à la craie blanche qu’aucune photo n’est permise sans achat. Un chapeau à large bord, un grand parasol la protégeront bien mal du soleil lors des heures les plus chaudes de la journée. Il n’est que 10 heures du matin ce mercredi 17 juin 2020. Elle n’a pas fini son installation et décharge de la camionnette, ses pots de confitures, de gelés, de miel décoré de madras. Le vent, les vagues qui s’échouent sur la barrière de corail, la grande croix au bout du sentier de randonnée la laissent indifférente tant elle les a vus depuis la vingtaine d’années qu’elle vend sorbet et confitures aux touristes qui se laissent cuire la peau au soleil.
Elle néglige de penser à ce qu’il y a derrière la ligne de canne à sucre. Elle choisit d’apprécier le rougeoiement du soleil levant en remettant à plus tard le moment où elle devra chausser ses bottes et franchir la ligne de canne pour réaliser à quel point les hautes herbes et les bananiers ont maintenant envahi l’espace qu’elle voulait réserver à son potager. Il est 10 heures du matin le 17 juin 2020 et elle ne s’est toujours pas résolue à mettre ses bottes.
L’écrin végétal qui entoure la petite source d’eau chaude et sa cascade d’à peine un mètre reçoit très peu de visiteurs si on s’en tient à l’examen de la trace presque effacée qui y amène. L’endroit est sauvage. Des pétales jaunes d’ylang-ylang parsèment la ceinture de rocher du bassin et restent peu de temps dans l’eau qui les emporte. Ne serait-ce le bruit des voitures en contre bas sur la route qu’on ne voit pas elle pourrait se croire seule au bout du monde en ce mercredi 17 juin 2020 aux alentours de 10 heures du matin.
Il court le long de la rocade, protégé des voitures qui roulent à grande vitesse par les barrières de sécurité de la 2 voies. La mangrove à sa droite, le goudron à sa gauche, il allonge sa foulée dans la grande ligne droite, les oreilles bouchées par ses écouteurs et la musique qui l’accompagne depuis son point de départ ce mercredi 17 juin 2020, pas loin des 10 heures du matin.
Le volcan domine la ville. Il suffit de lever les yeux par beau temps pour contempler son sommet aride, le dessin du cratère, et les fumerolles qui parfois s’en échappent. Dans le parking du super marché maintenant recouvert de panneau solaire, elle pourrait se rappeler le paysage muet en poussant son cadis les yeux rivés sur le sol un 17 juin 2020 à peine passé 10 heures le matin. À quoi sert un paysage quand on fait ses courses parmi d’autres gens qui font aussi les leurs?