#LVME #01 | Passage à l’acte notarié

1 || C’est précis pour eux, 18 Septembre 2018, une demi-heure avant 14 heures, ils sont cinq, une seule femme, un seul est en retard, ils se retrouvent dans la salle d’attente vitrée du Cabinet de Notaires, donnant sur la Rue .Non loin, à gauche en descendant, de la maison parentale. Une secrétaire stylée les accueille derrière son comptoir. Merci de bien vouloir patienter. Maître Untel va vous recevoir. Elle ne se sent pas obligée d’en dire davantage. Je remarque sa gestuelle un peu empesée presque cérémoniale, ses cheveux longs attachés et lissés en queue de cheval, ses lunettes d’écaille à rivets dorés, son rimmel bleuté sur les cils épaissis et courbés, ses yeux fuyants billes de chocolat, ses sourcils épilés remplacés par un double tatouage impeccable, ses lèvres brillantes et rosées, son tailleur mi-saison motif pied-de poule, son chemisier en satin gris, ses escarpins noirs petits talons au moment où elle quitte sa faction de cerbère et s’éloigne dans le couloir, ses doigts fins, ongles courts qui étreignent des liasses de papiers protégées par des pochettes de carton léger couleur fade. Elle aura sans doute préparé les documents de la succession et s’apprête à les déposer sur le bureau de son patron. Nous guettons les bruits de chaise, les murmures et l’apparition d’autres têtes (au moins une) que nous ne connaissons pas. Tous les contacts ont été effectués séparément par mail ou par courrier. Les notaires n’aiment pas le téléphone. Moins ils en disent, mieux ils gagnent. Les fratries trop consensuelles ne sont pas des clients juteux. Nous sommes d’emblée goguenards et ligués contre l’entourloupe éventuelle sur les émoluments.

2 || C’est précis pour nous, il est 13H40 le même jour et nous sortons de table. Les retrouvailles sont chaleureuses, nous sommes d’accord sur tout malgré le chagrin d’avoir perdu leur présence et dispersé une partie de leurs objets. Oui, nos parents chamailleurs nous manquent, et la maison presque inchangée dans son ensemble où nous nous sommes rassemblés ne parle que d’eux et de notre enfance à la Pagnol, entre curé et municipalité communiste. La maison a une histoire avant nous, elle a désormais la notre. Le père veuf depuis longtemps a fait un testament en faveur d’une conservation filiale équitable. Il l’avait achetée pour nous élever en sacrifiant une maison et des vignes héritées à 261,9 kilomètres de là. Un premier déchirement puisque nous passions nos vacances d’été au bon milieu des vaches et des vignobles. Celle-ci plus confortable et fonctionnelle a pu abriter la ribambelle et même le travail paternel au rez-de-chaussée. C’est une maison de village, un corps d’immeuble en fait, se continuant jusqu’au bout de la rue à partir du carrefour, à moins de trois cent mètres de la mairie. Elle prolongeait le bourg, bâtisse de pierre recouverte ensuite de ciment et de crépi. L’énormité des gadins sortis des murs lors de travaux nous fera comprendre pourquoi les ondes de portable passent difficilement à l’intérieur. C’est une vieille maison familiale et nous y tenons. Moi plus que les autres.

A suivre…

A propos de Marie-Thérèse Peyrin

L'entame des jours, est un chantier d'écriture que je mène depuis de nombreuses années. Je n'avais au départ aucune idée préconçue de la forme littéraire que je souhaitais lui donner : poésie ou prose, journal, récit ou roman... Je me suis mise à écrire au fil des mois sur plusieurs supports numériques ou papier. J'ai inclus, dans mes travaux la mise en place du blog de La Cause des Causeuses dès 2007, mais j'ai fréquenté internet et ses premiers forums de discussion en ligne dès fin 2004. J'avais l'intuition que le numérique et l 'écriture sur clavier allaient m'encourager à perfectionner ma pratique et m'ouvrir à des rencontres décisives. Je n'ai pas été déçue, et si je suis plus sélective avec les années, je garde le goût des découvertes inattendues et des promesses qu'elles recèlent encore. J'ai commencé à écrire alors que j'exerçais encore mon activité professionnelle à l'hôpital psy. dans une fonction d'encadrement infirmier, qui me pesait mais me passionnait autant que la lecture et la fréquentation d'oeuvres dont celle de Charles JULIET qui a sans doute déterminé le déclic de ma persévérance. Persévérance sans ambition aucune, mon sentiment étant qu'il ne faut pas "vouloir", le "vouloir pour pouvoir"... Ecrire pour se faire une place au soleil ou sous les projecteurs n'est pas mon propos. J'ai l'humilité d'affirmer que ne pas consacrer tout son temps à l'écriture, et seulement au moment de la retraite, est la marque d'une trajectoire d'écrivain.e ou de poète(sse) passablement tronquée. Je ne regrette rien. Ecrire est un métier, un "artisanat" disent certains, et j'aime observer autour de moi ceux et celles qui s'y consacrent, même à retardement. Ecrire c'est libérer du sentiment et des pensées embusqués, c'est permettre au corps de trouver ses mots et sa voix singulière. On ne le fait pas uniquement pour soi, on laisse venir les autres pour donner la réplique, à la manière des tremblements de "taire"... Soulever l'écorce ne me fait pas peur dans ce contexte. Ecrire ,c'est chercher comment le faire encore mieux... L'entame des jours, c'est le sentiment profond que ce qui est entamé ne peut pas être recommencé, il faut aller au bout du festin avec gourmandise et modération. Savourer le jour présent est un vieil adage, et il n'est pas sans fondement.

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