On a les mêmes lunettes. Est ce qu’alors la même vie? Au moins un trait en commun, d’aller à ce magasin-là, récent, et qui d’ailleurs annonce qu’il est effectivement autant pour elle que moi: lunettes pour tous. Elle tient son téléphone à deux mains et navigue avec les deux pouces qui dépassent. Les ongles peints en violet. Elle n’est pas gothique. Elle est partie et je dois inventer. Me souvenir, mais donc inventer. Un châle qu’elle roule comme une écharpe, sans rentabiliser sa pleine taille. Une doudoune noire. Et ça ne me dit rien d’elle, à part que dehors il fait froid -et ses bras alors me parlent du ciel. Ici dans le métro il fait encore bon. Lunettes pour tous, c’est parce que c’est moins cher. S’ils avaient mieux été du ciel de leur époque ils auraient dit: tou-te-s mais le ciel on sait bien n’est pas le plus grand inclusif, qui exclut par exemple tous les morts et les anciennes planètes. Basilique de Saint-Denis, annonce la rame. On ne sait rien des voix qu’ont les visages, ni du visage qu’ont les voix, avant de les voirentendre. On devrait séparer l’existence sur terre en cinq bras, un pour chaque sens, et vivre la même vie avec que la vue l’ouïe l’odorat le toucher le goût. On verrait mieux peut être qu’on est notre propre voisine de siège.