1 – Corps étranger, oculiste, tableau, télé, cinéma, myope, humiliation, épaisseur, loin, près, net, distance, visage, étui, intello, moqueries, lire, trop, moche, tessons de bouteille, rétrécissement, flou, rétine, dioptrie, traces, nettoyer, verres, montures, peur, casser.
2 – Flou, brouillard, tableau, écrire, écriture, lire, ne pas pouvoir lire ce qui est écrit au tableau, myopie, loin, près, corps étranger, visage, moche, montures, épaisseur, couleur, tessons de bouteille, moqueries, intello, lire beaucoup, lire trop, détails, pinailler, analyser, précision, mise au point, reflets, rétrécissement, visage, elles prennent possession de mon visage.
3 – Au départ, voir flou et ne pas s’en rendre compte, léger brouillard tout autour, c’est flou entre moi et le tableau, ne pas pouvoir lire ce qui est écrit au tableau, devoir se rapprocher du tableau, visite médicale, oculiste, verdict : myopie, lunettes. La langue me pousse enfin à prononcer, à écrire le mot, lunettes, ce corps étranger sur mon visage, ce corps étranger qui prend possession de mon visage d’enfant. Difficile de décrire cet objet, objet vital, mais corps étranger tout de même. La langue évoque le vécu, mon vécu de l’objet, ce que l’objet induit plutôt que ce qu’il est, ce que l’objet peut changer d’une vie, comment un corps étranger s’immisce dans une vie et la transforme, comment ce corps étranger a pris possession de mon visage, au début par intermittence. Humiliation du premier jour et par la suite, railleries, étiquette de l’intello, lire, lire trop. Comme pour tout corps étranger, il y a eu rejet. Les lunettes sont moches, des tessons de bouteille, reflets, rétrécissement. Rejet pour un autre corps étranger, plus acceptable parce qu’invisible. La langue permet de dire aussi ce que l’objet, le corps étranger révèle de celui ou celle qui le porte, focus, autofocus, mise au point, vision analytique, détails, précision, écrire, traduire.
4 – Au départ, voir flou et ne pas s’en rendre compte, léger brouillard, tout autour, c’est flou entre moi et le tableau, ne pas pouvoir lire ce qui est écrit au tableau, devoir se rapprocher du tableau. Oculiste. Verdict : myopie. Les lunettes s’imposent. Pas d’autre remède à cette maladie des yeux. Les lunettes sont un corps étranger qui se pose sur le visage, sur mon visage, ce corps étranger a pris possession de mon visage d’enfant, au début par intermittence. Humiliation du premier jour et par la suite, railleries, étiquette de l’intello, lire, lire trop. Les lunettes étaient un objet disgracieux, surtout affublées de verres de myope. Des tessons de bouteille. Rétrécissement, reflets. Comme pour tout corps étranger, il y a eu rejet. Rejet pour un autre corps étranger, plus acceptable parce qu’invisible. Mais elles étaient toujours là. Les lunettes ont été un corps étranger qui a pris possession de mon visage et s’est immiscé dans ma vie. Les lunettes sont un corps étranger qui prend possession du visage et transforment la vie. Les lunettes sont un miroir, le type de vision qu’elles corrigent révèle quelque chose de la personne qui les porte. Les lunettes, c’est une histoire d’amour-haine ou plutôt de haine-amour. Depuis longtemps esthétiques et élégantes, mes lunettes ne me sont plus un corps étranger, elles font partie intégrante de mon visage et je ne le conçois plus sans elles.
5 – Les lunettes sont un corps étranger qui se pose sur le visage, sur mon visage, ce corps étranger a pris possession de mon visage d’enfant, un corps étranger qui s’est imposé à moi, au début par intermittence, sous peine de ne plus pouvoir lire au tableau, regarder la télé ou aller au cinéma. Les lunettes étaient un objet disgracieux, surtout affublées de verres de myope. Rétrécissement, reflets. Moqueries. Etiquette d’intello. Comme pour tout corps étranger, il y a eu rejet. Les lunettes se sont immiscées dans ma vie. Les lunettes sont un corps étranger qui prend possession du visage et transforment la vie. Rejet et enfin acceptation. Mes lunettes ne me sont plus un corps étranger, elles font partie intégrante de mon visage et de mon identité et je ne le conçois plus sans elles.
ah ben oui, le difficile apprivoisement des lunettes, c’était important de l’écrire, merci!
Merci ! Ca n’a pas été facile, mais oui, important de mettre ça par écrit. Jamais je n’y aurais pensé sans cet atelier….
Ah oui les lunettes! J’aurais pu écrire tout cela…Et choisir de voir flou ou net : on met les lunettes, on les enlève… Le premier geste du matin et le dernier le soir… Merci pour ce texte!