Je t’attends, nous t’attendons. Je ne sais pas si tu vas arriver aujourd’hui. Comme tous les matins, j’ouvre les volets, je descends les escaliers, je bois un café vite fait. Je me prépare. Je dois me dépêcher. Aujourd’hui je pars à Lyon, c’est ma rentrée. C’est le premier jour de ma deuxième année d’atelier régulier d’écriture à Aleph. Le ciel est frais et bleu d’automne. Je prends ma voiture pour me rendre à la gare la plus proche à 35 km. Je n’écoute pas l’autoradio, mon esprit se promène, mes idées s’enfuient comme les chevreuils aperçus à l’orée de la forêt. Nous sommes loin. Habiter la campagne c’est presque un luxe. Pas de pollution apparente dans cette région d’élevage mais des contraintes liées à l’éloignement. Il faut tout prévoir. Le pain quotidien n’est plus et le reste non plus dans ce petit village de 130 habitants. Il n’y a plus rien à consommer. Les cloches de l’église rythment sans autorité les heures de la journée. J’aime les entendre. Il arrive parfois que le vent m’apporte des voix, des cris d’enfants.
Dans le train où les passagers sont balancés sans considération, les bruits sont autres, je suis en mouvement involontaire, je ne ferme pas les yeux. Mes idées vagabondent, la lumière va et vient, disparaît à la traversée des tunnels me renvoyant mon image sur les fenêtres devenues miroirs. Je suis floue, mouvante, je ne me regarde pas. J’aperçois d’autres villages, d’autres forêts. La vie se réveille et s’éloigne de ces paysages éphémères. J’entends les passagers sans les voir, la plupart se rendent à leur travail. Certains rouspètent sur les retards réguliers du train, le manque de considération des voyageurs, d’autres sur le confort : «Il paraît qu’ils veulent supprimer les premières classes », « Sur des trajets courts, les premières classes ne se justifient pas » le débat réveille les endormis. C’est vrai que dans ces TER à part la couleur des sièges qui différencie les premières classes des secondes, la différence ne paraît pas flagrante. La discussion est vive. Une voix off annonçant l’arrivée à la gare de Lyon part dieu, clôt le débat. Je descends du train, je suis dans le flux, j’avance avec la foule, les gens se bousculent, se touchent, s’excusent ou pas, tous pressés, tous déjà dans l’instant d’après. Je ne traîne pas non plus. L’air sent la ville, j’ai un tram à prendre, je ne dois pas me tromper, je dois descendre au bon arrêt. J’ai l’habitude mais aujourd’hui n’est pas habituel dans ma tête. C’est une journée à t’attendre.
A l’atelier, je ne veux pas trop te penser, je n’ai toujours pas de nouvelles. J’apprends sur mon écriture, ce moi qui écrit, ce je qui est une autre et qui est moi. Je ne suis plus sûre de rien si ce n’est de mes contradictions. J’écris oui, j’écris non. Je suis toujours au carrefour des mots, aux phrases qui sont des routes à continuer mais sur lesquelles aussi je fais demi-tour pour en prendre d’autres. Peut-être n’arriveras-tu pas aujourd’hui, peut-être n’es-tu toujours pas décidée à nous rencontrer. Plusieurs fois dans la journée, discrètement, je consulte mon téléphone, pas de message.
L’atelier terminé, pendant mes deux heures trente de trajet pour rentrer, seule l’attente que j’ai de toi m’accompagne. Je ne tente pas de saisir le monde, j’en fais abstraction, je tente d’oublier la folie de la ville. Je suis heureuse de retrouver ma campagne, ma maison au milieu des pâturages. En septembre le silence est encore dense. Les habitants sont essentiellement agriculteurs, éleveurs de vaches race charolaise. La vie parait ordinaire. En apparence. C’est sans doute dû au silence à moins que cela ne soit dû à mon ignorance. Née bien loin de cette campagne, salariée à la ville « je ne suis pas d’ici » comme ils disent. Je les connais peu. Nous nous voyons aux festivités qui se résument à la fête patronale, au loto organisé au profit de l’école. Selon les saisons ce silence s’adapte aux bruits des travaux agricoles. Il y a des engins impressionnants, des tracteurs géants avec d’énormes pinces qui capturent d’énormes bottes de paille. Aujourd’hui des quads sillonnent les pâturages, et c’est au bruit de leur moteur que les troupeaux se rassemblent. Les vaches ont une capacité d’adaptation à la modernité que je ne soupçonnais pas. Le fermier au grand manteau, le bâton à la main, arpentant les pâturages pour les surveiller, les rassembler, s’est à jamais endormi.
Depuis fin août, comme ils disent ici : « les jours avancent à diminuer ». Dès 20 heures l’horizon s’éclaire au soleil couchant, dessinant un ciel de feu, troublant les nuages, appelant les étoiles. Je ferme les volets. Je cherche les couleurs de mes cotons, la toile à broder, des modèles de lettres d’alphabet. J’envisage le repos de mon fauteuil. La chatte impatiente l’espère aussi sur mes genoux. Elle aussi attend. Je reste attentive à mon téléphone. Il est 22 h 15, l’écran s’illumine : « Coline est née, tout va bien ». Je suis heureuse, je remercie pour cette nouvelle vie au monde. Ta vie. Quel beau prénom Coline. Cela fait neuf mois qu’on t’attendait. Je peux enfin choisir les lettres pour ton prénom à broder. Nous sommes le 27 septembre 2010.
Bon anniverssaire à elle, fictive ou réelle, elle mérite 9 belles bougies !
une attente douce et pleine en votre compagnie,
Merci Catherine, une vraie belle journée que je ne peux oublier. Merci
» seule l’attente que j’ai de toi m’accompagne. » quelle magnifique phrase
Merci Brigitte pour votre lecture, un instant de votre journée posé sur mon texte, ça me fait plaisir.