Sur le fin visage creusé où la peau semble douce s’allonge un sourire cousu par point, étiré par la force du dentier, suivi du nez où repose à son arrête la paire de lunettes, deux carreaux que font briller la lumière électrique sous lesquels les deux yeux reposent, clos. Définitivement. Au-dessus la déclivité du front mène aux cheveux peu épais, courts, duveteux, soigneusement brossés. Le mort, dans son cercueil, dans l’une des chapelles funéraires, juste une salle de taille moyenne, à l’arrière de l’hôpital, la sortie des artistes. Définitive. L’œil extérieur se heurte à la double barrière de l’œil tu, le verre de lunette et la paupière baissée. Pourtant l’œil extérieur fixe les éléments présents avec une grande attention, le saumon du linoleum en sous couche sous le bois vernis de la caisse, le mur blanc que l’éclairage rend crémeux, l’absence de fenêtres, le torse sous le visage, vêtu d’un pull vert bleu, le coton clair qui recouvre les jambes, l’absence des mains, invisibles, l’espace entre le haut du crâne et le voilage blanc qui habille le bois intérieur, ce sourire presque anormal, l’amaigrissement de la maladie qui dessine, surligne ce visage, l’épure doublement. Cette densité horizontale, une immobilité exposée.
On dirait un poussin avec le duveteux de ces cheveux, la seule chose qui semble encore vigoureuse, il paraît que les cheveux continuent à pousser après la mort, – même dans les tiroirs réfrigérés où sont rangés les cadavres ? ça oui, il a l’air apaisé – on dirait qu’il dort, elle a dit la femme qui est passée tandis que tu y retournes encore, lui, il dira plus tard – une poupée de cire, oui, une représentation, apprêtée pour les vivants ; c’est ton premier mort, la première fois que ton œil rencontre cette surface, cet aspect, cette chose, qui est et qui n’est pas, qui rappelle et qui se tait, qui présente et se retire tout à la fois, un petit poussin surpris les yeux fermés, le seul de la couvée à être resté là, alors que ton œil intérieur le voit loin déjà, réellement poussin, duveteux et doux, attendrissant parce que maladroit, s’éloignant aussi vite que ses courtes pattes le lui permettent, que vient faire ce poussin avec son jaune éclatant dans le saumon tamisé de cette pièce sans fenêtres, des amis ont déposés sur les jambes du cadavre deux bouquets, l’un blanc de roses et l’autre coloré, deux bouquets recouverts de papier transparent qui vont crisser quand le couvercle sera posé, vissé et scellé à la cire rouge, et ton œil intérieur plisse, ébloui un peu par la lumière éclatante de ce jaune mouvant, ce chaleureux du duvet et le sentier étroit, une sente d’animaux vifs et furtifs, habitués à se dissimuler, une trace qui se faufile parmi les chaumes coupés des blés et cette lumière d’été, ce sautillement, presque une pellicule de super 8, une image mouvante, encore silencieuse mais où bruisse sur ces bord le grésillement vivant des insectes sous la chaleur, ce jaune qui s’illumine là tandis que ton œil extérieur, noyé de larmes, floute les contours de pièce et les silhouettes des quatre préposés des pompes funèbres qui soulèvent le couvercle et le pose avec précaution sur la caisse oblongue.
Merci pour ce texte doux et délicat, que je lis comme une sorte de portrait en forme d »éloge de l’ancien vivant. Pourtant implacable comme la mort l’est, ce que disent les deux « définitifs » entre deux points.
Et puis la trouvaille incongrue du poussin reprenant toute la douceur du texte dans la phrase longue qui permet l’écriture du flux des sensations devant le « premier mort »…