Il s’assied au pied d’un mélèze, se laisse aller à la somnolence sur le tapis d’épines douces dans l’ombre ventilée du feuillage. Il repense à ses lointaines études de géologie, les couvertures et chapitres de ses manuels se surimposent sur le paysage montagneux qui lui fait face. Involontairement, la lecture semi-onirique des roches devinées dans l’invisible les font remonter curieusement à son esprit, quasi personnifiées. Une épopée des croûtes terrestre et océanique charrie un ballet de magma de roches devant ses yeux fermés. C’est bientôt comme une chorégraphie narrant l’histoire des ères géologiques. L’ombilic polaire se confond avec l’ombilic du rêve. Et les noms des roches se mettent à danser en spirale : serpentinite, basalte en coussins, gabbro, ophicalcite, schiste lustré, chacune entre à tour de rôle dans le champ du rêve, sur la scène intérieure d’une orogénèse où le marbre vert rattrape le granite et le grès. Le gneiss métamorphique annonce la subduction de la croûte océanique sous la croûte terrestre, le maelström s’accomplit, lithosphère et asthénosphère rivalisant de densité ou de ductilité. Roches volcaniques et sédimentaires paradent sur une frise schisteuse. Les plaques tectoniques s’incurvent, plongent sous une autre plaque. La dérive des continents s’accomplit à la fois sur les plans géologiques et nominatifs : les noms s’amassent en blocs et débris de moraine, roches moutonnées de mots cristaux surnageant en creusement glaciaire. Le vêlage atténue le relief éruptif. Rifts et subsidence se produisent en direct en un processus accéléré, comme s’il assistait à la formation d’une nouvelle chaîne de montagnes, ou à celle d’une dorsale océanique. Lithosphère et asthénosphère le prennent à partie, le somment de choisir son camp : en surface ou sous les océans. Son rêve cristallise. Un bal de méduses s’en suit, des formes blanches et gracieuses défilent entre les mélèzes. A la marge continentale, déformée, plissée, il voit enfin des lignes se former : une ligne de mots correspondant à une ligne de bouées, semblable à celle qui délimite l’espace de baignade surveillé le long des plages estivales. Son paysage mental s’étire jusqu’à la dénudation du manteau terrestre. Un magma acide et riche en silice lui laisse un goût piquant en bouche. Il ressent une soif intense mais y résiste pour ne pas interrompre sa rêverie. Enfin, il se rappelle qu’un océan doit toujours mourir pour que naisse une chaîne de montagnes.
Quand le vocabulaire scientifique devient poésie, quand nommer la terre avec précision la transforme en rêverie… J’ai beaucoup aimé.
Très beau, très gourmand, après une telle lecture j’ai envie ce matin, de mâcher du marbre et de faire croustiller de la roche volcanique sous mes dents. Merci 🙂
très réussi