Un terrain de pétanque près de la bâtisse construite en bord de plage / un restaurant où l’on cuisine un poulet rôti avec des frites / un couple, un homme et une femme, lui en costume gris et elle en sari / un jeu de quilles entre la plage et le restaurant
Un jardin public baigné de fraicheur avec ses arbres en sous-bois et des fontaines disséminées sur le parcours / une grande maison pour accueillir le public, un bâtiment administratif imposant / le couple en costume gris et en sari est devant le jardin public avec d’autres badauds
La plage et l’océan / Des femmes en sari et des hommes en costumes ont investi la plage / ils sont assis sur des chelingues, des bateaux à fond plat retournés / l’océan semble déchaîné / c’est une cérémonie / on est dimanche et il y a un prêtre sur la plage avec une vierge Marie en sari orange.
Claude et Evariste prennent l’apéritif dans le restaurant à côté de la plage. D’un côté, un terrain de pétanque, de l’autre, un champ de quilles qu’il faut chambouler. Claude Estève a 35 ans. C’est une grande brune au teint diaphane. Cheveux raides qu’elle retient en arrière. Elle est vêtue d’un sari violet. Elle a une pastille rouge sur le front. Evariste Cherdel, 36 ans, cheveux noirs et longs, de la même taille que Claude, son épouse. Ils sont mariés depuis huit ans, après leur sortie de la fac de lettres et avant leur entrée dans le monde enseignant. Le couple habite Blois mais tous deux ont imaginé qu’ils pourraient se marier de nouveau et cette fois-ci à Pondichéry. Ils sont habillés en costumes de cérémonie et veulent passer devant le prêtre. Ils veulent prendre dieu à témoin de leur amour, eux qui n’avaient pas imaginé de cérémonie religieuse il y a huit ans. Nous sommes le 15 août 2022. Sur la plage, il y a une statue de la vierge Marie en sari orange. Orange pour Marie et violet pour Claude, elle a pensé qu’elles étaient raccords. Il y a foule sur la plage. Il y a des femmes en sari rouge et or et des hommes en costumes roses et bleus. Claude et Evariste avaient décidé de cette cérémonie sur un coup de tête, dès leur arrivée à Pondichéry. Enfin il faudrait plutôt dire Puduchéry comme il était stipulé dans les guides touristiques. Claude et Evariste avaient décidé de se marier de nouveau à Auroville, mais cela ne n’était pas possible. Ils s’étaient donc rabattus sur une église de Pondichéry qui jouxtait le jardin public. Le prêtre exerçait le 15 août sur la plage. Ils avaient eu cette envie depuis le jardin public. Ils arrivent désormais à la fin de leur séjour de presque deux mois à Pondichéry. Ils s’étaient enivrés de l’atmosphère du Golfe du Bengale. De cette mer puissante. Pondichéry était bien encore un comptoir mais toute la culture française tendait désormais à s’estomper. Il n’y avait plus que l’école et les prêtres pour perpétuer les traditions françaises. Ils avaient donc eu ce désir de s’épouser devant dieu en allant au jardin public et en voyant des processions devant l’église. Tous ces costumes bigarrés, toutes ces chevelures noires de jais, ces peaux dorées et brunes, ces tissus chatoyants, ces chants et ces tresses dans les cheveux. Ils avaient eu l’idée de faire de même et s’étaient dit : pourquoi ne nous marierions-nous pas à l’église ? C’est en assistant à la procession qu’ils ont appris que le prêtre pratiquait des cérémonies le 15 août sur la plage. Le 15 août, pour conjurer le sort, la date du suicide du père d’Evariste. Comment transformer une date fatale ? Cela convenait parfaitement à Evariste et semblait rassurer Claude qui, de sa voix douce et fluette, a juste remercié son époux de cette idée qui l’avait traversé. Leurs deux mains se rapprochent, leurs cheveux se confondent. Ils se ressemblent. Seule la couleur de leur peau est différente, blanche pour Claude, dorée pour Evariste. Ils sont prêts à s’unir de nouveau. Il y a des tas de gens sur cette plage, des bateaux et des tas d’animaux. Il y a des chiens, des chats et des chèvres qui ont pris possession de cette plage à une encablure de Pondichéry. C’est une grande plage qui donne sur le Golfe du Bengale. La mer est tumultueuse et forme des rouleaux qui tombent en roulant sur la plage. Elle s’écrase et son bruit ressemble à un écho qui tombe dans un gouffre. Un bruit enivrant, un bruit écrasant qui annihile toute volonté de s’opposer à toutes ces unions par ce jour d’assomption où tout le monde est bigarré. Tout le monde est bigarré sauf Evariste qui porte un costume gris. Il l’avait ramené de France. C’était son costume de marié. Il l’avait emmené en pensant aux sorties au restaurant qu’il comptait faire pour continuer à plaire à Claude. Il y avait des poules aussi sur la plage. Toute cette foule bigarrée et ces animaux en pagaille ne rappellent rien à Evariste et Claude. Ils n’ont jamais vécu cela auparavant. C’était ainsi que la vie de Pondichéry s’était insinuée dans leur vie. Ils avaient envie de Goa mais c’est à Pondichéry qu’ils se disent oui pour la vie. A Puduchéry plutôt. Nous sommes le 15 août 2022 et cela fait huit ans et dix jours que le couple est marié. Un couple sans enfants et qui entend bien le rester pour mener une vie altruiste en s’occupant des enfants des autres. Ils veulent limiter leur impact sur la planète. Les enfants ne sont pas dans leur projet de vie. Eux seuls comptent. C’est un couple fusionnel. Elle fragile et gracile en apparence. Lui discret et envié. C’est un beau couple, discret et envié.
Ils se sont enivrés avec cet apéritif, de la mangue agrémentée de liqueur de litchi. Doux et très sucré. Ils ont bu ce cocktail comme du petit lait. Ils en ont bu cinq verres et sont totalement gris. Ils ont titubé quand ils sont allés sur la plage. Ils ont titubé quand ils sont allés voir le prêtre. La chaleur est écrasante. L’atmosphère est moite. Il y a des tas de gens et d’animaux sur la plage. Le prêtre leur a dit que ce n’était plus la peine d’assister à la cérémonie, qu’il n’y aurait pas de cérémonie pour eux. Ils étaient trop ivres pour se dire oui de nouveau et devant dieu cette fois-ci. Ils se sont mis à rire. Qu’est-ce qu’ils peuvent bien faire désormais contre dieu ? Rien. Ils ne se sont pas mariés devant dieu, telle était sa volonté.