Flocons de poussière dans les interstices du plancher de la chambre irisés dans la lumière du matin, flaques d’eau au pied de la baignoire, tâches de gras sur le carrelage blanc de la cuisine, chaussettes abandonnées sous le canapé, – une araignée y a installé son nid – reste du petit déjeuner sur la table basse du salon, la lumière s’étale et chauffe mes jambes nues – il est huit heures et je paresse en regardant de mes yeux de myope la rambarde du balcon – le flou du temps qui passe m’empêche de faire le point – et puis s’habiller, se presser, la porte d’entrée racle le sol, dans un roulement de machinerie ouverture de l’ascenseur ; on regarde son smartphone et dans son prolongement ses pieds quand le voisin du troisième monte avec un faible « bonjour » à la commissure des lèvres ; le travail comme seul horizon des transports en commun, de ce chemin entre mon appartement et le bureau, entre ici et là-bas, entre le temps présent et le temps futur, entre la fatigue et l’ennui ; mes pieds me trainent vers le métro, bousculent une canette vide dans le caniveau, shootent un paquet de cigarettes vide dans le grillage ; les plaques de goudron craquellent par endroit laissant aux herbes folles prendre possession des boursouflures bitumeuses ; les pots d’échappement lâchent leurs particules fines invisibles à l’oeil nu dans le vrombissement urbain du matin : l’enroulent des voitures, des camions asthmatiques et des motos pétaradantes ; au bord du chantier les coquelicots écarlates flottent sur les restes du terrain vague ; vague envie d’aller bosser, de grimper dans la roue à hamster huit heures durant, la foule se presse à l’entrée du métro, dévale les escaliers, avale le tunnel permettant d’accéder aux tourniquets : bruits de pas, d’une mécanique bien huilée, de l’arrivée des wagons, de la sonnerie annonçant la fermeture métallique des clenches qui claquent sur le loquet ; foule compacte et silencieuse, raclement de gorge, deux pieds se trainent quémandant ticket restaurant, une pièce et de quoi manger, les yeux se détournent de la pauvreté mais l’odeur tenace s’infiltre partout ; transpiration des corps dans l’attente de la prochaine sortie où le vacarme de l’escalator déversera sur le trottoir son paquet de voyageurs hagards : trottoir propre, mocassins, hauts talons, chaussures italiennes et vague de tennis pour les touristes faisant le pied de grue à la porte scintillante des grands magasins, rugissements de voitures dans l’attente du feu vert, on saute d’une bande blanche à l’autre pour atteindre l’autre rive, pour se rapprocher de l’immeuble de bureaux. Et si ce matin, mes pieds m’emmenaient dans la poussière des chemins du Luxembourg, pousser un voilier avec un bâton, jouer à hauteur d’enfant, rire, courir, pleurer, m’émerveiller de l’herbe fraichement coupée, dormir, écouter le chant des oiseaux et redevenir l’enfant que je suis resté au fond de moi qui vivait au raz-du-sol.
Là où l’on tient la multitude, à ce « Raz-du-sol » en un raz-de-marée quotidien. J’apprécie cette vision du « Passage anonyme ». Merci pour cette lecture.