La rentrée arrivait, les TCl avaient sorti leur nouvelle grille horaire et Le Progrès annonçait un renforcement de la fréquence des bus sur la ligne 21. À y regarder de près, c’était faux : un seul bus supplémentaire desservirait le tronçon entre Limonest cimetière et Lissieu Montluzin !
Elle avait parcouru la ligne dans les deux sens pendant tout un mois et son sujet l’emplissait. Elle se sentait devenir une militante de la ligne 21.
Comment était-il possible que les décideurs n’aient pas remarqué qu’en un siècle les choses avaient changé, que des habitations s’étaient construites, que des entreprises s’étaient installées, qu’on bâtissait encore ? Comment était-il possible que le terminus déjà desservi toutes les 20 minutes un siècle plutôt soit resté le même : Limonest !
Un siècle plus tôt l’hôtel du Lyon d’or en faisait déjà un argument publicitaire : « au pied du mont Verdun (à 20 minutes) cure d’air — séjour d’été — pension de famille — prix modérés — tramway pour Lyon toutes les 20 minutes »
Elle avait cherché des images anciennes, consulté des cartes et les recensements de population. Elle n’en revenait pas : la population avait été multipliée par dix, l’agriculture avait cédé le pas à des entreprises en tous genres, tous les adolescents allaient maintenant au collège ou au lycée et on en restait à une desserte qui pouvait convenir aux marchandes de poires, d’abricots et de fromage de chèvres qui portaient leur production aux marchés de Lyon.
C’est alors que ses petites voisines lancèrent une pétition pour l’augmentation de la fréquence. Elle s’y associa immédiatement, la partagea sur Facebook, puis douta.
Comment se prenaient les décisions relatives à la desserte des environs de Lyon ? Fallait-il s’adresser à la mairie de Lissieu ? Fallait-il penser que le maire conseiller général de Limonest membre de la commission finances, institutions, ressources et organisation territoriale du grand Lyon avait plus de poids qu’un petit maire d’agglomération ? Ou bien devait-on en appeler au Sytral (syndicat mixte des transports pour le Rhône et l’agglomération lyonnaise) ? ou encore à la direction des TCL (transports en commun lyonnais), ou encore à une autre structure intercommunale dont elle ignorait le nom ? Ou bien encore s’en remettre à l’avis des conducteurs-receveurs qui lui avaient fait remarquer qu’on ne voyait pas beaucoup de maison sur cette portion de ligne ?
La ligne 21 suit le tracé historique direct de la route royale 6 entre Paris et Lyon. À la limite des pentes du Mont Verdun, ce tracé emprunte une pente importante pour accéder à Limonest. Trop difficile pour les diligences, il a été doublé en 1850 par la route impériale 6 passant plus à l’ouest en terrain plat, puis en 1900 par une voie de chemin de fer, riche en ouvrages d’art. Les transports en commun modernes ont suivi ces tracés nouveaux sans connaître un véritable succès faute d’une fréquence suffisante et de terminus adaptés. Pourquoi ne pas essayer de revenir au trajet historique en prolongeant la ligne 21 que les bus d’aujourd’hui n’ont aucun mal à parcourir ? Pourquoi ne pas écouter les jeunes ?
Elle avait l’impression que les logiques d’un autre temps étaient toujours à l’œuvre, les logiques qui avaient privilégié le train et la voiture, les rationalités (et les intérêts) portées par les grands bourgeois qui au XIXe siècle avaient leurs résidences d’été dans les environs, mais avaient laissé la place aujourd’hui à des travailleurs désemparés, contraints désormais de prendre leur voiture ou de se risquer à vélo pour les plus intrépides.
Elle était perdue et découragée, simple citoyenne écrivaine, même si un lecteur l’avait qualifiée d’écrivaine-agitatrice. Son audience sur internet était bien limitée et le correspondant local du Progrès restait silencieux. Elle n’allait pas, quand même, coller des affichettes sur tous les bus ou faire du porte-à-porte pour faire signer la pétition !
Vous m’avez familiarisée par petites touches avec cette ligne 21, que j’ai commencé à aimer. Je précise n’avoir aucun intérêt direct à la chose (j’habite très loin de Lyon où j’ai du mettre trois fois les pieds). Par votre écriture précise et locale de l’humanité en bus,vous m’avez fait entendre les échos de ce 21 et de plein d’autres 21. A la lumière du texte du jour, je me représenterais presque l’ensemble comme à une forme de manifeste. Le texte-action 😉
Oui, j’en suis venue au texte-action, je ne m’attendais pas à ça. Surprise d’où nous mène l’écriture…
L’écriture habite au 21 ? 😉
(désolée, peux pas m’en empêcher)
ou l’histoire s’est arrêtée à Limonest ?
(pas grave, il faut des titres qui marquent)