Prologue
Aujourd’hui, la chambre qui n’est pas une chambre est ouverte à tout vent. La chambre ouverte sur le salon traversé de lumière. Le plafond est haut. Les murs sont gris perle. Le lit est profond et large. La chambre qui n’est pas une chambre est traversée de lumière. La transparence des rideaux, les lueurs miel du parquet, la chaleur l’été. La chambre qui n’est plus une chambre, lassée de toutes les chambres, aspire à d’autres chambres. Dans le lit profond et large, les nuits sont longues et malhonnêtes.
Printemps
Le lit est petit pour le corps petit. C’est un lit sans nuit, un lit d’aurore. Chants de tourterelles. Odeurs de pin. Les draps rêches contre la peau, rouge de coups de soleil. Et à la fenêtre, quand le petit corps se hisse, au loin, bleue et grise, il y a la mer.
Dans la chambre d’étudiant, le contact de la chaussette, de la chaussure, du pied nu sur le lino. Sur les étagères, des livres d’étudiant. Au coin de la pièce, un lit lisière, sans nuit, un lit de crépuscule, de visages en clair obscur. Et le lit voit passer, les corps, les voix, les chansons, les lumières et les verres de vin.
Eté
A Cluny, l’abbaye est en ruine. La chambre a une fenêtre qui donne sur un jardin, une petite table pour déjeuner et un gros kougloff. Elle est au calme, près des ruelles, des impasses et des allées, chaude et irisée au-dessous du grand soleil.
A l’Est, les nappes de chaleur et l’odeur du canal, un clic clac, un bureau, une petite armoire. En contrebas, les jardins partagés. Elle ne se souvient guère du temps passé dans la chambre, du temps de l’intérieur quand il était, le temps, tout mangé par l’extérieur, tout mangé par les Vosges, les forêts touffues et les tartes à la myrtille. Un lit comme un bain de crème fraîche, et un corps groseille enroulé dans un feuilleté. Corps rond et croustillant dans un gros gâteau d’Alsace.
Automne
Des lueurs tamisées. Un entresol avec une porte surmontée d’un vitrail. De la chambre, un couloir puis un escalier mènent au sous-sol. Des tunnels s’enfoncent toujours plus loin, dans le dédale des souterrains lyonnais, où la lumière s’épuise.
Le froid s’insinue dans la banlieue lilloise, la femme a laissé sa chambre aux hôtes de passage. Elle est maquilleuse à l’opéra. Sa chambre est petite avec des miroirs et une salle de bain attenante. Chambre que l’on retrouve au retour des vacances. Un jour, on fait flamber la scène. C’est du théâtre. Les nuits sont paisibles. Le rideau tombe, aussi les feuilles.
Hiver
La terre est noire, meuble et grasse. Un petit coin de banlieue et d’adolescence. Derrière la baie vitrée, le plafond est bas. Sur le carrelage pâle, le miroitement gris des flaques d’eau. Un bain d’huile au coin de la pièce ne sèche pas les murs que l’humidité dévore, chauffe à peine le corps qui se crispe. Au-dehors, un carnaval de limaces parmi la pelouse. Et au loin, le ronronnement sourd et puissant de la nationale.
Paris enfin. Enfin de retour. La lumière du réverbère derrière la fenêtre. Le matelas est fin. Le lit est étroit. Un soir de réveillon et de couvre-feu. La ville est grande. Dans la rue, il y a du passage. Un rideau lourd. Il y a à travers les murs les bruits de la fête, les bruits de l’année qui vient.
Épilogue
Quatre lits. Le train. Et le sommeil qui ne vient pas. Le roulement du train. Dans la nuit qui roule, la voiture bar, le wagon restaurant. Les mots de la nuit, au wagon restaurant. Et au bout du voyage, ouvrant vers d’autres chambres, vers d’autres lits, l’amie nouvelle.
Merci pour ce texte au rythme des saisons ! J’aime bien l’idée de nuits malhonnêtes dans une chambre qui n’est pas une chambre.
Super progression pour décrire ces différents lieux, ça évite l’énumération dans laquelle pouvait nous plonger l’exercice.
Découvrir vos sommeils, vos saisons bien orchestrées, et aussi votre traversée des âges…
Entre lumières, lueurs et rideaux lourds…