Deux escaliers. L’un, de bois, dans la maison, l’autre de pierre et menant au jardin.
Sur le mur intérieur au dessus des marches de bois le Vieux Juif Errant d’Epinal chemine suivant son doigt tendu, aidé d’un long bâton. Sous ses pieds des colonnes de signes encore inconnus le soutiennent, ils fourmillent juste à hauteur de mes yeux chaque fois que je monte dans ma chambre.
Dehors, dans le jardin, des rosiers en fleurs se sont laissé choir quantité de minuscules créatures rouges dont j’avais appris le nom de « puceron de rosier ».
Assise sur la pierre blanche et froide je tendais un doigt très fin vers l’un, vers l’autre, pour les arrêter dans leur course.Cela formait des dessins rouges de la grandeur des signes noirs nommés « lettres » aux pieds de mon Vieux Juif errant pour toujours mystérieusement, la mer derrière lui, immobile avec pourtant interdiction de s’arrêter jamais, m’avait-on dit. J’immobilisais les petits pucerons de rosiers sur la marche dehors d’une pression légère, des formes rouges sur blanc apparaissaient qui ne disait rien.
On m’appelait, je devais aller me coucher. Mes yeux se jetaient, se fixaient longuement à chaque rencontre sur mon cher Vieux Juif Errant sans doute fatigué lui aussi et son histoire écrite sous ses pas innombrables. Ces petits points noirs intouchables derrière le cadre de verre se liaient entre eux solidement pour dire quelque chose.
Il fut vertigineux de pouvoir lire enfin un soir :
« Est-il rien sur la terre,
Qui soit plus surprenant
Que la Grande Misère
du Pauvre Juif Errant ! » ,
le sang me vint à la tête, j’étais la plus puissante des créatures du monde mais aussi grandement effrayée je me suis appliquée, une fois dans ma chambre, à écrire mon nom au crayon noir. Il m’échappa.
…il m’échappa. ( et non m’échappait )
merci, Catherine – mais, pour les catégories du site, puis-je savoir à quelle proposition du cycle en cours se rattache ce texte ?
eh bien, le Cycle « Enfance » dont il m’a semblé donné un point de ….vue
donner
disons que c’était une sorte de tentative de répondre à Walter Benjamin
juste un texte poétique, polysémie : tout marche par couple, deux escaliers, signes rouges/signes noir,
immobilité/errance,
lecture/écriture …il y aurait encore beaucoup à dire sur cette entrée dans le royaume de la Connaissance, et sur le rôle des images dans notre psyché..