Alité tôt, le soleil à peine couché, pour laisser aux adultes le temps des retrouvailles, des discussions sérieuses et graves ou des moments complices entrecoupés d’éclats de rire, sans pouvoir trouver le sommeil, excité par le voyage et les voix qui se confondent au roulis lointain des voitures sur la route de campagne, leurs phares se projetant au plafond, pour nous faire signe et saluer notre arrivée.
Cette odeur tenace de caoutchouc du matelas pneumatique fatigué par les années, usé par les voyages, mêlée aux relents d’alcool, aux restes de nourriture d’une fête de mariage, la nuit passée sans fermer l’œil, au matin le matelas dégonflé, la tête au ras du sol dans la pièce même où la soirée s’est tenue et qui, faute de place, a été transformée en dortoir improvisé.
La lumière à travers les plis des épais rideaux rouges à l’hôtel de Rome et Saint-Pierre, sur le Cours Saint-Louis à Marseille, dont la couleur incendiait, et les murs et le plafond.
Les éclairs d’écumes et de mousses blanches frappant violemment le hublot de la cabine du bateau pris dans une tempête en Méditerranée, dont la brutalité des coups laissaient penser que la coque pouvait se briser à tout instant, et que la fin était proche.
Ces odeurs pernicieusement entêtantes de moisissure du mur humide et des fleurs blanches des troènes au parfum suave et sucré qui s’entremêlent tel un poison aux relents d’interdit, empêchant de s’allonger en son absence dans le lit de sa fille.
Fermer les yeux dans la salle du cinéma L’Arlequin rue de Sèvres à Paris pendant la projection du Miroir de Tarkovski et se souvenir d’avoir vu deux films cet après-midi là, celui qu’on venait de regarder, dont plusieurs séquences manquaient, ce qui changeait bien entendu le sens du film, et celui de son rêve, imprégné par la bande son du film, dont on gardera jalousement les images inédites.
Il y a la mer, son lent roulis répété sans fin, le souffle du vent salé dans l’air chaud de l’été Corse, à San-Martino-di-Lota, les rideaux qui volètent au ralenti, sans bruit, et le passage intempestif des voitures filant sur la route en contrebas.
Dans la vieille bâtisse de La Marelle, aux abords de la gare Saint-Charles à Marseille, en bordure des voies de chemin de fer, tomettes rouges de guingois au sol et murs peints à la hâte en blanc, le volume de la pièce nue, un lit, une table, une chaise, parfois une armoire, vide, raconter à son amie, que le tumulte des trains empêche de dormir dans une chambre voisine, qu’on peut apprendre à les reconnaître, à les dompter, il y a le TGV qui arrive assez vite et doit freiner longuement, ces freins crissant, il y a le TER qu’on entend à peine, il y a les arrivées et les départs, tous ces bruits nous accompagnent, il faut apprendre à les écouter pour mieux se laisser bercer par eux.
Le matelas installé près du lit trop étroit de l’adolescent qui invite sa petite amie à dormir à la maison pour la première fois, à l’aube, coulisser de l’un vers l’autre, faire bascule et lit commun, une couche improvisée, des baisers de sa bouche et des caresses, et des cris étouffés pour ne pas attirer l’attention, les corps moites sous les draps emmêlés.
Dans le jardin de ses parents, dans la chaleur de l’été, la sieste dans l’inconfort d’une chaise longue, le ventre lourd d’un repas trop copieux, la tête qui tourne d’avoir trop bu, paupières lourdes, une barre sur le front, le corps avâchi dans la toile souple et coloré du transat, le bras coincé au-dessus de la tête, tout endolori au moment de se réveiller.
J’aime la proximité de ces séquences avec certains de mes souvenirs.
Ravi de cette proximité, cet atelier favorise entre nos textes les échos et les correspondances.