hors-série #voix | les voix s’éteignent en premier

Les voix s’éteignent en premier quand leurs écritures survivent dans la mémoire qu’elle en garde. Décrire le tracé de leurs mots pour chacun elle pourrait. Mais depuis leurs voix c’est le silence. Comme tues à jamais. Comme perdus les mots qu’elle avait trouvés, l’amie. Sa voix au-delà des années. L’oreille est paresseuse. Elle n’a rien fixé. Rien retenu. L’œil est plus efficace. Mémorisée la bouche : ses lèvres en mouvement avec le petit bruit désagréable qu’elle fera plus tard comme essayer de retirer d’une molaire quelque chose qui serait coincé mais le plus discrètement possible jamais y porter les doigts elle a été élevée chez les sœurs son sourire de biais qui découvrent davantage les dents de gauche et le fin crochet d’or au fond pour un quelconque bridge fixé par sa fille. Sa fille… Où est sa voix de tragédienne à elle, l’enfant réveillée dans la nuit du drame où Miette était venue chercher sa mère ? La voix s’efface toujours pour l’image. La bouche entre en scène et on ne verra plus qu’elle, mêmes lèvres minces que sa mère mêmes rides verticales de s’être trop souvent pincées. Quand les lèvres de la mère se pincent c’est pour indiquer autre avis, réprobation ou juste mépris amusé et rien de tout cela ne durera, vite elle n’y pensera plus, passera à autre chose, elle est d’un heureux caractère comme on dit,  pour sa fille  lèvres serrées c’est essayer de ne pas dire ce qui brûle, mais trop fragiles remparts et toujours à lâcher bien vite et passant outre à travers une belle dentition avec des dents naturellement régulières et bien alignées et ce diastème, les dents de la chance, elle le disait elle-même, et on sentait de suite l’écart entre cette croyance populaire et ce qu’elle pensait de sa vie et sa langue aussi je m’en souviens bien, si pointue qu’avec elle toucher le dessous de son nez elle pouvait. Elle trouvait les mots, le phrasé et les gestes pour dire le drame, le porter au plus haut qu’elle pouvait, mais la voix restait en deçà. Comme butée dans le refus de participer.  Dans une famille où le père était ténor et les frères aussi. Depuis toute petite être celle qui chante faux, ce que ça fait à la voix. Comment lui accorder assez d’importance pour la faire vibrer ? Ou développer son coffre quand au-dedans de sa cage thoracique le cœur a un défaut et devoir vivre avec toujours cette obligation de le ménager. Sa voix de tragédienne n’était pas née. De sa voix de consolation ou de sa voix de colère, je me souviens. Peu à peu à écrire tout autour, il me semble distinguer quelque chose du côté de l’oreille et c’est timide. Me souvenir de sa voix il faudra bien, pour écrire ce livre, mes fautes d’orthographe aussi ont une histoire.

A propos de Anne Dejardin

Projet en cours "Le nom qu'on leur a donné..." Résidences secondaires d'une station balnéaire de la Manche. Sur le blog L'impermanence des traces : https://annedejardin.com. Né ici à partir du cycle«Photographies». Et les prolongations avec un texte pour chaque nom qui dévoile un bout de leur histoire. Avec audios et vidéos, parce que des auteurs ou comédiens ont accepté de lire ces textes, l'énergie que donnent leurs voix. Merci. Voir aussi sur Youtube.

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