De la scène, provient un rythme
sourd qui traverse les ventricules d’une énorme enceinte. Une fille arpente le
plateau. Sur son tee-shirt noir, un motif qu’on ne distingue dans ses détails
que si l’on est aux premières loges, un monstre marin aux tentacules indociles,
exfiltré d’un conte fantastique. Agile, elle monte à l’échelle pour changer
l’ampoule d’un projecteur, scotche des câbles au sols, vérifie des
branchements, déplace un pupitre, tapote le micro, un deux, un deux. Renfrognée
et professionnelle, elle a, à ses pieds, une foule sinueuse et encore dispersé qui
s’étend au-delà du parterre qui fait face au grand podium. Autour du foodtrack,
les pieds dans la boue, on fait la queue. Quatre mains s’activent. Deux manient
la saucisse et la frite, saupoudrent de sel, retournent les steaks sur le grill,
elles sont grandes et laiteuses ; les deux autres, plus âgées, veinées et
tachetées cuisent des crêpes et les replient sur du miel ou du chocolat. Les
grandes mains pourraient être celles d’un pianiste, elles appartiennent à un
blond plutôt râblais dont le visage transpire et qu’il essuie régulièrement
avec un grand mouchoir sorti de la poche de son tablier. Les mains qui retournent
les crêpes ont des doigts plus courts, un peu boudinés, on les imaginerait
volontiers être celles d’une personne dodue, replète, alors qu’elles sont à une
femme longiligne sortie d’une galerie de sculptures de Giacometti. Les deux
toqués ont inversé leurs pognes. La ville est effervescente. Elle n’est pas
grande et a l’accueil généreux. Sur une ligne de crête, les têtes dodelinent,
les regards se déclinent sur la palette du Grand Jour : l’inconditionnel
heureux, l’impatient qui court en avant, le déçu de n’avoir pas, l’anxieux
perdu au coin de la rue, le stupéfait, oui, stupéfait face à un engin qui
tourne, peut-on appeler cette perle un manège, entrainé par un étrange cycliste
bariolé qui pédale et déroule des cartes perforées, le gourmand qui en veut
encore, l’insatisfait qui égrène les regrets.
Un étage plus bas, les bustes s’affichent, de face, de profil, celui-là de
dos, un vieil homme courbé en deux qui se déleste avec peine d’un veston pied
de poule, daté, trop chaud, il suit un poète qui se rengorge et invite à
s’assoir autour de lui. Les mots fusent, le poète harangue, au sol, il dessine
à la craie, un monde. Une femme, restée debout, un peu en arrière, à petites
gorgées se régale de ce qu’il déclame, rose de cheveux et de robe, sa ceinture
est une marguerite. Plus loin, d’une caravane devant laquelle un duo a chanté des
romances, sortent deux mauvais garçons, puis deux autres, deux autres et
encore… Trente peut-être au total, ils changent de costume, on n’y voit que du
feu, ils se pressent, ils sont une petite foule, ils sont uniques ! Au
sol, les chaussures suivent la cadence. De grandes modèles bateau d’un bleu
passé portés sans chaussettes sont à un grand échalas, pull vert anis sur les
épaules, flanqué d’une compagne qui elle, porte des tongs. Autour d’eux, des
baskets montantes en nombre, un groupe de chineurs qui rentrent de la brocante,
assis sur des sièges de cinéma qu’ils viennent d’acheter, ils s’inventent une
toile. Deux paires de chaussures de randonnées qui laissent la part belle à des
mollets sans poils arrivent à la rescousse, les filles s’installent, en
tailleur, à même le sol. Sur le rebord du bassin, un enfant se délecte d’un
bain de pieds.
Autour de la scène on se presse maintenant. Les choristes sont prêtes. Elles
arrivent de droite et de gauche, forment quatre rangs. Quatre-vingts femmes ondulent
d’une seule voix.
Quel joli rassemblement à la fin de toute cette diversité bien observée et bien décrite. Merci
Merci pour vos encouragements réguliers, Anne.J’y suis très sensibles.