Ne trébuche pas, te voilà au bas des marches. N’aie pas peur. Pas de Styx à traverser dans le noir.
Pas de gueule rougeoyante où t’enfourner ! Juste l’abîme qui t’avala puis ici, ni Champs, ni Tartare, ni Paradis, ni Enfer. Pas de direction à choisir, pas d’espace terrien à explorer. Juste quelques dimensions de ton âme, ces sept péchés qui hantent les brumes qui t’emprisonnent désormais, ces maelström où tu ressasseras tes actes, où tu maudiras tes propres fantômes bien plus que tes proies ne le firent, plus que j’aurais à le faire, ce purgatoire où tu es condamné à battre ta coulpe.
Le brouillard s’effiloche.
C. aperçoit une gigantesque silhouette qui le domine. Tête altière qui toise l’avenir, regard au delà de l’horizon, chevelure bouclée et libre, gorge dénudée, narquoise, défiant cordes et lames, toge drapée tel un imperator inaccessible. Pas de doute, c’est lui, C., figé pour les siècles. Orgueil !
C. trébuche. Que fait donc là ce coffre en lourde fonte aux charnières de fer ? Il reconnait les serrures, les mécanismes obscurs qui protégeaient sa fortune, ses écus d’or chèrement acquis, spoliés ou prêtés à usure. Il ouvre le coffre, laisse filer les pièces entre ses doigts, défait une liasse de reconnaissances de dettes, inique butin devenu inutile. Avarice !
C. jubile. Sur un tapis de brume se prélassent sept vierges. Carnations claires presque laiteuses que subliment yeux bleus, lèvres cerise, rosaces et tétons roses, chevelures lisses et toisons blondes ; carnations dorées de soleil que magnifient yeux de jades, lèvres carminées, tétons noisette, boucles et toison acajou, ivoires des entrejambes qui l’invitent ; carnation chocolat, yeux charbon qui le brûlent, rosée sur lèvres vermillons, tétons capitonnés de cannelle, toisons noires et crépues. Il s’enflamme, elles l’excitent, tour à tour, toutes ensembles, puis s’échappent soudain. C. s’époumone, râle, mais ne peut s’assouvir, se rassasier de tant de beauté, de chairs pubères. Comme un vol d’étourneaux, elles ont abandonné C. à sa frustration, ivre de pommes d’amour, de flagrances de foin fané, de poivre ou de musc, avide d’impossible Luxure !
Une odorante prairie fleurie s’ouvre devant C., emplie de vapeurs d’alcool, de fumets de ragoût, de parfums d’épices, de senteurs de fruits qui s’échappent des plats d’argent et des coupes de cristal d’un banquet improvisé. Qui se ferment et disparaissent dès qu’il veut s’en saisir. C. se pâme. Envie !
La dernière coupe — un nectar de liqueurs, un velouté d’amandes, une féérie de sucres — s’offre, puit sans fond, gorgées infinies. C. goûte, boit, dévore, s’empiffre, s’étrangle. Gloutonnerie punitive de C qui vomit et vomit encore. Gourmandise !
Et s’enchaînent les jours, les coffres pleins mais inutiles, les vierges séduisantes et fuyantes, les plats évocateurs aussitôt évanouis, les liqueurs odorantes et indigestes. L’orgueil fond, le doute vient. Alors C. se révolte, hurle, tente de fuir les brumes et brouillards qui le précèdent, le happent puis suggèrent tous des plaisirs pervers et interdits, irrésistibles et nocifs. Ses vices qu’il cultivait, prônait. C. tempête en vain. Colère !
Vaine colère.
Alors C. se couche sur le sol froid et humide, disparait peu à peu dans la brumasse, que parcourent quelques relents de sexe, quelques tintements de pièces et froissement de billets, quelques remugles des reliefs de fêtes, quelques aigreurs d’alcools frelatés. Il sombre . C. renonce. Acédie !
Vaine paresse.
Avant la Délivrance.