Elles se sont assises un moment sur le rebord de la fenêtre pour discuter un peu. C’est comme cela que passent les jours. Elles ont parlé des enfants qu’elles ne voient plus si souvent Maintenant que l’un travaille au Brésil pour une entreprise d’agroalimentaire, l’autre a suivi son mari qui a une bonne place à Lisbonne dans une banque. Quant au plus jeune , plus aventureux il a quitté le pays sans véritable projet ; il donne de temps en temps des nouvelles mais on ne sait pas vraiment ce qu’il fait.
Restée veuves elles s’en sortent parce qu’elles ont le sens de l’économie que leur ont transmis leurs parents. Ils ne reconnaîtraient plus le quartier maintenant, envahi par les touristes. Ca fait du mouvement c’est sûr. Mais regardez-moi un peu ce que sont devenus les petites gargotes typiques qui se disputent le chaland à coup d’innovations. On ne s’y reconnait plus. Il n’y a plus guère que les vendeurs de bricoles qui s’en sortent. Elles, elles sont restées sur le bord de la route, elles ne s’y retrouvent plus.
Maintenant elles sont silencieuses, l’une a pris son air défiant qu’elle avait autrefois pour faire tenir les enfants du quartier tranquilles. Ah ils ne mouftaient pas à l’époque. Et les filles vous avez vu comment elles sont habillées. C’est vrai qu’il fait chaud mais la décence quand même ! Elles ne comprennent plus rien à cette jeunesse débraillée et vulgaire. Ce n’est plus leur monde. L’autre s’est fait une raison, et puis elle est trop fatiguée. La pleurésie de l’année passée l’a mise à plat. Elle aimerait bien déménager dans un coin plus tranquille, mais pour cela il faudrait des moyens qu’elle n’a pas.
Elles n’ont plus envie d’être aimables avec un monde qui les ignore. Elles n’en peuvent plus de voir tous ces étrangers. Bon ce n’est pas le tout il va falloir aller préparer la morue à la braz. Il faut bien se faire des petits plaisirs. Et puis c’est vendredi aujourd’hui.