J’ai quelquefois perdu le contrôle de moi-même, mais si j’essaie de reconstituer ces moments atroces, cela ne sera jamais la même chose, parce que quand la tête est dévissée du corps on ne pense à rien d’autre qu’à la remettre au bon (mauvais ?) endroit pour que cela ne se reproduise plus. On y engage tellement d’énergie qu’on oublie le processus pour ne penser qu’à l’aboutissement. On ne pense pas à ce qui est au fond du puits, on pense aux mains qui s’accrochent aux touffes d’herbes qui se cassent, aux saillies qui écorchent la peau, mais qui sont notre salvation, on ne pense pas à l’air qui se raréfie et nous étouffe, mais à la parcelle de fraicheur qui nous arrive aux narines quand on monte plus haut. Décrire ce qui nous est arrivé est un mensonge puisque on en est revenu pour le raconter. Cela ne compte pas. L’horreur n’est pas racontable, pas plus que le fou rire qui nous attrape par les boyaux en plein milieu d’où il ne faut pas, c’est une contraction de muscles qui empêche d’arriver là où c’est interdit, une tension qui égrène les secondes jusqu’à ce que la respiration nous reconduise à un état un peu plus proche de l’humain. Quand on s’oublie sur n’importe quelle plateforme de l’inimaginable, on y reste, en attente, accrochés aux bords, les os de la main perçant la chair, anesthésiés de souffrance et inutilement las.
Codicille : quand le dire et le faire ne coïncident pas.
« c’est une contraction de muscles qui empêche d’arriver là où c’est interdit, une tension qui égrène les secondes jusqu’à ce que la respiration nous reconduise à un état un peu plus proche de l’humain. » Comment raconter/écrire un orgasme ?
J’y ai pensé en relisant, mais pas mon intention, du moins consciente. 🙂 Merci du commentaire !
On peut imaginer tellement de situations (l’ascension d’une haute montagne) … mais en relisant et en relisant j’ai surtout pensé comment il peut être difficile de sortir d’un désespoir absolu. Mais votre propos n’était surement pas qu’on devine. C’était un plaisir de lire ce court texte.
Oui, Véronique, c’est tout à fait cela et je suis contente que vous l’ayez si bien vu. C’est la cause de ces efforts qui reste invisible et indicible. Merci de votre commentaire !