Elle est en fer forgé ouvragé. Elle ne laisse pas entrer qui veut. Il faut savoir la prendre.
Elle est la voie de sortie de la maison. La seule ouverture, en dur, de la clôture en pierre meulière.
Le temps la travaille. Quand il fait froid, elle grince. Quand il fait chaud, elle baille. En automne, quand l’humidité et les feuilles de marronnier s’abattent sur elle, elle vient se recouvrir de mousse pour se protéger des insectes qui pondent dans ses entrelacs .Sa peinture s’écaille et sa boîte aux lettres ventrale en souffre beaucoup. Ses pans entiers de peinture vert – sapin tombent et laissent à nu son fer forgé qui commence à être gangréné par la rouille. Elle se déforme donc et ne suit plus la pente. Elle résiste. Et un espace se creuse entre elle et le sol qu’elle épousait idéalement pendant des décennies. Elle laisse maintenant passer le vent, les feuilles, des animaux mêmes qui viennent uriner sur elle. Elle n’est plus respectée.
Personne ne la débarrasse de ses morceaux de ballons crevés, depuis le dernier anniversaire de la petite, l’été dernier. Ça pend, dans les salissures de la crasse de pollution d’essence de voiture. Même le facteur qui la frôlait, et lui caressait la boîte aux lettres, adosse sauvagement sa bicyclette sur elle et en force l’ouverture pour y faire entrer le courrier, coûte que coûte, quand ce ne sont pas des livreurs qui gavent sa béance de cartons mouillés infâmes et sans forme.
Seule , Marguarita connaît sa valeur. Elle sait que sans elle, plus rien n’a de sens.
Alors , elle s’approche et décroche délicatement un à un ses lambeaux de ballons plastiques abandonnés aux saisons. Elle graisse et soigne ses huisseries; ponce et repeint régulièrement ses blessures, lui évite gangrène et champignons .
Elle est vieille, à présent, mais elle tient debout. Personne ne songe à la remplacer. Enfer forgé, elle est presque classée monument historique…
Une porte vivante qui ouvre la porte de la fiction, avec ces personnages qui surgissent, un à un, ces scènes entrevues (l’anniversaire de la petite) et ce lien attachant entre cette porte et Marguarita. J’aime beaucoup !