les mardis #16 | le problème avec le volet roulant

Le volet roulant électrique de la grande porte-fenêtre du salon ne fonctionne plus. Le mécanisme tourne dans le vide avec un bruit de roulement inutile. Immobile à mi-parcours. Ne reste plus qu’une moitié de paysage extérieur. Ce n’est pas qu’il en vaille la peine, ce paysage : une terrasse au carrelage jaunie et une rambarde écaillée et rouillée. Un immeuble gris de l’autre côté de la rue et le bout de ciel en haut, visible si on met un pas sur la terrasse et si on lève un peu la tête. Mais tout de même. Ouvrir la grande baie vitrée. Laisser entrer la lumière. Ou bien se calfeutrer les jours de tempête. Prendre un café sur la petite galerie extérieure. Impossible désormais sauf se contorsionner. Heureusement, le propriétaire ne tarde pas à venir. En deux heures, il démonte et remonte le mécanisme. Il fallait « tout simplement » remplacer une toute petite pièce en plastique blanc. Dans le soir qui tombe, je rêve un moment sur ce « tout simplement » et j’actionne avec satisfaction l’interrupteur de mon volet roulant. Mais voilà qu’au petit matin, alors que j’actionne, dans l’autre sens, l’interrupteur de mon volet roulant avec la très grande satisfaction de me souvenir qu’il est réparé, surgit, en lieu et place du carrelage jauni, de la rambarde rouillée, de l’immeuble gris et du bout de ciel invisible, de grandes mers et de vastes océans là tout au bord de ma baie vitrée. Et c’est ainsi depuis. Chaque matin, j’actionne l’interrupteur de mon volet roulant, j’ouvre grand les yeux et me prépare à recevoir le paysage du jour : landes de bruyères à fleur de falaise, vaste désert jaune à l’horizon tremblant, forêts denses et luisantes de pluie, grands fonds marins peuplés de bêtes curieuses. Je n’ai rien dit à mon propriétaire.

A propos de Émilie Marot

J'enseigne le français en lycée où j'essaie envers et contre tout de trouver du sens à mon métier. Heureusement, la littérature est là, indéfectible et plus que jamais nécessaire. Depuis trois ans, j'anime des ateliers d'écriture le mercredi après-midi avec une petite dizaine d'élèves volontaires de la seconde à la terminale. Une bulle d'oxygène !

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