les mardis #12 | j’ai décidé d’arrêter d’écrire

J’ai décidé d’arrêter d’écrire. Il m’est déjà arrivé dans ma vie de cesser d’écrire, mais jamais de décider d’arrêter d’écrire. On peut décider d’arrêter de fumer, ou de boire, mais décider d’arrêter d’écrire, c’est autre chose. Décider d’arrêter d’écrire, c’est couper court au désir. C’est ravaler délibérément les mots, les enfermer en soi, dans la tête, dans le ventre, dans la gorge, dans la bouche, les mastiquer soigneusement, les avaler et les digérer. Pour les empêcher de sortir. Décider d’arrêter d’écrire, c’est cesser de respirer en lettres, en mots, en phrases, en sons, en rythmes, en silences. C’est ranger le filet à papillons, s’empêcher dans un bistrot ou dans la rue ou sur un banc ou dans le train, de sortir son carnet rose à spirale ou tout autre carnet longuement choisi en papeterie, ou son application « Notes » du smartphone. C’est laisser infuser en soi l’espace et le temps, les bruits et les visages sans pouvoir les extraire les fixer les métamorphoser en mots en phrases, c’est laisser mourir les fragments de réel. Mais décider d’arrêter d’écrire, c’est aussi décider d’arrêter de désirer prolonger le geste de lire. Radicalement, décider d’arrêter d’écrire implique la décision d’arrêter de lire. Pour faire bien les choses et tuer complètement le désir. Décider d’arrêter d’écrire, c’est décider d’arrêter d’essayer de survivre au réel.

A propos de Émilie Marot

J'enseigne le français en lycée où j'essaie envers et contre tout de trouver du sens à mon métier. Heureusement, la littérature est là, indéfectible et plus que jamais nécessaire. Depuis trois ans, j'anime des ateliers d'écriture le mercredi après-midi avec une petite dizaine d'élèves volontaires de la seconde à la terminale. Une bulle d'oxygène !

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