(Il est posé à gauche de mon ordinateur au sommet d’une petite pile, je l’ouvre au hasard, et le passage m’appelle et c’est déjà incroyable que ce soit ce passage tu t’es dit sans connaître la suite) | Me voilà, rêveur-mangrove | (les doigts et les touches du clavier rétroéclairé et le rectangle blanc de l’écran et les mots qui s’alignent dans la pénombre de la chambre) | épousant cette volcaille de pays | (et le traitement de texte qui ne reconnaît pas les mots nouveaux, les mots inventés, langue soufflée, proprement sidérante, à chaque fois) |, ses cassées, ses disparitions, ses ensouchements forcés | (le rythme et les mots de Chamoiseau dans le bruit discret de la climatisation et les fragments de feuilles de bananiers là dans l’espace de fenêtre du volet pas tout à fait fermé et que tu réouvres, pas de soleil aujourd’hui, le bruit du volet) | son déroulé hagard | (et le vert à plein de la végétation par la fenêtre d’arbres dont tu ignores le nom, d’épiphytes, de lianes, des nuances de vert pour qui il faudrait aussi inventer des mots) | Me voilà rêveur-feignant, clapotant de la tête sur des boues oubliées, agrippant des présences vaporeuses | (tu écris dans les mots de Chamoiseau et tu n’arrêtes pas de te dire que c’est incroyable, ce qui arrive là, et depuis ce matin, alors même que tu n’aimes pas cette phrase « il n’y a pas de hasard », phrase que l’on t’a encore doctement assénée hier et tu as soupiré hier aussi) | laissant aller, laissant aller | (tôt ce matin, le jour n’était pas tout à fait levé, le réveil lourd et pesant de mauvais rêves, de ceux que l’on est bien incapable de raconter mais qui vous laisse un goût de boue qui empèse ce début de journée alors même qu’il te faut retrouver les élèves) |dans des incertains inutiles, des rafales de possibles, des accidents, des trajectoires tourbillonnantes | (et le rêve posé là en salle 05, et le hasard, et le récit, les surréalistes, déposer la raison sur la table et laisser faire laisser aller et les regards scolaires dubitatifs d’abord et puis on se prend au jeu, et les images qui surgissent et les sourires et les yeux étonnés de ce qui surgit) | laissant aller, laisser rouler | (où l’on se dit que tout compte fait le hasard fait bien les choses et que les mots de Chamoiseau et les élèves ce matin et l’écriture là maintenant finissent de te défaire de la boue marécageuse de la nuit) | Me voilà, rêveur-rivière | (tu aimes ces répétitions qui scandent le passage, elles ont accroché ton regard en ouvrant la page au hasard) | peu apte à comprendre mais butinant à ce pollen mental en de languides plaisirs | (tu n’aimes pas ce mot « languides », il faudrait vérifier ce qu’il veut dire, exactement) | Quand je fus de retour au pays, après dix ans en terre de France | (dans le bruit de travaux dans la rue et l’image de la cour derrière toi décharge casse automobile déchetterie tu hésites tu te demandes quel est ton pays dans les mots de Chamoiseau) | je poursuivis ces rêves en réinstallant mon corps dans une réalité devenue disponible | (le soleil pas loin à travers la végétation) | (corps cassé et le mot en écho plus haut corps douloureux dans le jour revenu du volet ouvert) | le retour accorde aux yeux de clairvoyantes avidités | (je lis ces mots, et bien souvent il me faut les relire, et je me dis que pour moi ce sont les départs, oui décidément les départs qui m’ont autorisée qui m’ont permise de) | on peut d’un coup de tête, d’un toucher de la main, s’impressionner d’une tremblade d’existence | (c’est pour de tels mots que j’aime tant et lire et écrire, quand le mot touche tout pile là où il faut et fait que l’on pose le livre, qu’on ferme les yeux, qu’on sourit, et que l’on se dit, c’est ça) | On voit. On écoute. On frôle. On s’entête. On sollicite. | (On vit en somme.)