Les boules de Noël du sapin du Rex Hôtel scintillaient doucement dans la nuit tombante de ce décembre tropical. Harold se passait les mains dans les cheveux, encore et encore, autant pour trouver une parade à la moiteur du moment que pour tenter de prendre une décision. Il faisait trop chaud pour marcher de long en large, ce qui l’aidait habituellement à se détendre et à réfléchir, mais tout son corps était rétif à l’effort, se contentait d’absorber jus de fruit du dragon et jus de mangue, l’alcool ne lui paraissant définitivement plus une solution.
Il contemplait la couronne du Rex Hôtel avec mélancolie, comme une vieille amie dont on perçoit les rides mais à qui on sourit comme pour éviter de lui montrer ses rides en miroir. Harold ne parvenait pas à déceler la duplicité dans sa conversation avec Stan, et il lui restait cinq minutes pour téléphoner à qui de droit pour entériner sa candidature dans l’opération très spéciale qui devait se dérouler dans une semaine. Il se devait de dépasser l’intuition qui lui hurlait depuis le matin de faire coffrer Stan pour un interrogatoire sans concession, mais ne voulait pas compromettre une candidature sur la foi de cette seule intuition. Rien, il n’avait rien trouvé qui aurait pu le mettre sur la voie. Il se leva pour jeter un oeil à l’opéra, qui se détachait à une centaine de mètres dans la rue Catinat, et balaya du regard le rue des appareils photo, comme il se plaisait à la surnommer, en dépit du fait que plus personne maintenant ne vendait de Nikon F, la guerre du Vietnam n’étant plus qu’un écho lointain dans l’histoire guerrière de la planète.
Stan prétendait connaître parfaitement Saïgon, et Harold avait glissé dans la conversation quelques petits pièges pour s’en assurer. Il s’en était déjoué avec aisance, sans qu’Harold ne puisse se départir de sa méfiance. L’obstacle géographique franchi, Harold tentait de le prendre en défaut sur ses prétendues rencontres avec les russes, sur cet éventuel carnet d’adresse qui faisait de lui un élément crucial de l’opération. De fort méchante humeur, au fur et à mesure que l’échéance approchait, Harold zooma mentalement sur son dossier, et ouvrit la page des particularités. Il était en train de visualiser la page quand un détail l’arrêta. Stan était atteint d’une phobie aussi surprenante que rare, la peur des libellules. Qu’on puisse piquer une crise à l’approche de ces graciles éclairs bleus et verts, tout de grâce vêtus, dépassait Harold, mais il il eu l’élégance de se remémorer ses propres terreurs et de s’abstenir de juger.
Un large sourire se dessina avec lenteur sur son visage moite et c’est avec une intense satisfaction qu’il décrocha. Négatif, assena-t-il avec virulence à son interlocuteur, ce type n’a jamais pu prendre un petit déjeuner avec les russes à la terrasse du Rex Hôtel, ni la semaine dernière ni jamais. Il a la trouille des libellules, qui sont légion le matin, surtout au quatrième étage. On laisse tomber où on le coffre ?
La réponse sembla lui convenir et Harold raccrocha. Il soupira d’aise, fit signe au serveur et se commanda un double scotch, même s’il venait de faire la démonstration que ses intuitions étaient solubles dans le jus de fruits. Nobody’s perfect !
« C’est pour qui le double scotch? » me demande Reijie, » Pour le monsieur en costume ! en continuant à préparer la Caïpirinha de la diva brésilienne en terasse. « Attends ! Je vais lui apporter » Sans qu’il ai eu le temps de comprendre je saisis au vol le plateau avec le double scotch et m’élance vers la table, souriant de toutes mes dents. Un si beau monsieur en costume, avec un portable si perfectionné est forcément un homme important.