Conspiration végétale
On t’a senti arriver de loin. C’est le vent dans les feuilles qui nous a alertés. Avant même d’entendre le bruit de tes semelles affolées, de ton souffle saccadé, de ton cœur paniqué dans sa cage thoracique comprimée. On t’a senti toi, toi et ton odeur d’homme, ton odeur de mâle, mêlée de musc, de certitude et de toute-puissance, celle qui écrase, qui terrasse, qui efface. Trop de souffrance passée, de souffrance vécue, trop de souffrance subie. Il a suffi d’une fois, d’une toute petite fois, mais c’était la fois de trop. Celle où l’on ne peut pas dire « Il était une fois », tu sais, ce sésame qui ouvre les portes toutes grandes des contes de fées, les portes de l’enfance, de l’innocence, de la transcendance. Pour elle, ce fut la béance. Et pour nous, marqués à jamais dans notre chair végétale, une impuissance infinie. Ce masculin-là, on n’en veut plus. Alors oui, on t’a senti arriver de loin, et oui, chacun a joué sa partition, symphonie macabre à l’image de la scène qui fut joué ici il y a bien longtemps mais longtemps ici ça sonne comme hier ça sonne comme aujourd’hui ça sonne comme toujours amour enfui temps aboli en même temps que la vie le passé se rejoue encore et encore repris en écho sans un bruit dans le présent qui n’en finit jamais et pourtant ça crie ça hurle ça n’en finit pas de crier dans les racines les troncs les branches les feuilles la terre la sève la mousse le temps n’émousse pas le chagrin figé le temps dans cette forêt meurtrie salie avilie vie engloutie… Alors on a décidé : sanctuaire, défense d’entrer ! On s’est organisé : buisson de ronces en embuscade, insectes et bruits en cascades, racines et trous, pièges et toi en rade, petit rat des villes petit rat des champs hors de notre vue, va-t’en ! Lune complice, sourire hypocrite, aucune bienveillance, la forêt mène la danse ! Mais surtoutsurtoutpardessustoutetplusquetout ravaler ta superbe, ton orgueil, te faire baisser les yeux à ras du sol. Tu la sens la peur, tu la sens la douleur, tu les entends les cris, les hurlements enterrés dans le sol ? Enfermés, verrouillés, muselés ? Clé de si clé de sol, débarrasse le plancher et retrouve ta boussole ! Pénitent des villes, pénitent des champs, va droit devant : la recluse t’attend !
Honni soit qui passe par là
Il court il court le furet le furet du bois mesdames, il court il court le furet le furet du bois joli, il est passé par ici il repassera par là, il court il court il court le furet le furet du bois mesdames, il court il court le furet le furet du bois joli
Il court il court le quidam le quidam du bois mesdames, il court il court le sans nom le sans nom du bois maudit, il est passé par ici il ne r’passera pas par là, il fuit il fuit l’inconnu l’inconnu du bois la lune, il déguerpit déguerpit l’nobody qu’on a honni
Gloups
Il fait noir, ça a le goût du chocolat. Maman m’attend à la maison. Elle a préparé mon plat préféré : du poulet avec un goût pointu. La fille n’est pas là, il y a quelqu’un d’autre. Une forme longue qui bouge qui va vite qui se prend dans les ronces. Ça pique les ronces. C’est pas le Docteur Gaston parce que le Docteur Gaston je le connais et c’est pas le Docteur Gaston. Je vois ses lèvres bouger, je n’entends pas ce qu’il dit, je porte un casque. Je dois porter un casque. Sinon, je me mets à hurler et ça, Maman, elle n’aime pas, elle pleure. Ne pas faire pleurer Maman. Ce n’est pas bien de faire pleurer Maman. Je n’entends rien mais il dit quelque chose. Je lis sur ses lèvres. Un mot inconnu. Je ne sais pas quelle couleur il a, ce mot. Je n’aime pas quand je ne sais pas la couleur d’un mot. Une mouche se pose sur sa joue, une araignée monte sur son bras. Je n’enlève pas mon casque. Surtout n’enlève pas ton casque, dit Maman. Le noir est partout autour de moi. J’aime ça le noir, ça a le goût du chocolat. Il lève sa main pour faire partir la mouche et l’araignée. Le noir les avale. Gloups, d’un coup. La lune est blanche et toute ronde. Sa lumière m’éblouit, je sors mes lunettes de soleil. Elle a un beau sourire, la lune. La fille aussi, elle a un beau sourire. Elle parle avec des fleurs dans la bouche. La fille n’est pas là. Mais lui, si. Il court. Les branches essaient de l’attraper avec leurs grandes mains. Maman m’attend avec le poulet qui a un goût pointu. C’est mon préféré. Les ronces arrachent ses vêtements, il lève les pieds, ses jambes remontent. Dans la nuit, la grande sauterelle avance. C’est pas le Docteur Gaston parce que le Docteur Gaston je le connais et c’est pas le Docteur Gaston. Ses bras moulinent, les moulins aussi moulinent, il y en a plein dans mon livre. Les bras du Docteur Gaston, ils moulinent pas. La sauterelle avance, sa tête monte et descend. Maman m’attend. La sauterelle disparaît derrière un arbre. La nuit l’avale. Gloups.
Les étoiles ont parlé
Il va venir, je l’ai lu dans les étoiles, il ne va pas tarder. Par contre, pour arriver jusqu’ici, ce ne sera pas une partie de plaisir, il va déguster. Voyons voir ce que disent les transits… Hum, c’est bien ce que je pensais : avec Saturne carré Mars, je vois des difficultés pour aller de l’avant, il va être entravé dans ses actions, ça va prendre du temps. Idem avec son opposition Jupiter-Vénus, ses relations vont être tendues : ce sera elles ou lui, mais il n’y aura pas de place pour deux. Pour l’instant, il est seul et dans la mouise, il va devoir compter sur ses propres forces. Par contre, il a une belle Maison IX, avec le Soleil et Mercure, et Jupiter en domicile en Sagittaire : de belles choses vont se présenter à lui dans les semaines qui viennent, avec de nouvelles opportunités, des voyages, des explorations, des rencontres. Je vois même des coups de chance, des rendez-vous avec la vie à ne pas manquer s’il veut sortir du pétrin dans lequel il s’est fourré. Il faudra qu’il soit attentif aux signes et ne pas laisser trop son Ascendant Scorpion prendre le dessus. J’espère qu’il sortira de sa réserve naturelle pour s’ouvrir aux autres. Une vraie tombe, ce type ! J’entends le chat miauler, il n’arrête pas depuis une heure, je ne sais pas ce qu’il a. Et des bruits de pas, ça vient du nord… Ça y est, c’est lui, j’en suis sûre. Il a le souffle court, il a dû courir. Il ne faut pas qu’il me voie. Sinon, ça ficherait tout par terre. Heureusement que j’avais pensé à éteindre toutes les lumières ! Ce soir, c’est la pleine lune, alors pour cette lumière-là, je ne peux rien faire ! Je vais aller me cacher dans le four à pain, juste à côté de la cabine téléphonique, aucune chance qu’il me trouve là !! Oh, et ce chat qui n’en finit pas de miauler, il ne va donc jamais s’arrêter ?!
This is the end
Shit ! Dans quoi je me suis encore fourré, moi ! Ça recommence, décidément, je ne vais jamais m’en sortir ! Et toutes ces ronces : elles se sont toutes données rendez-vous ici, ou quoi ?! On dirait la forêt de la Belle au Bois dormant tellement il y en a ! Et il est où le prince avec son épée pour me débarrasser de tout ça ?! C’est que ça pique, ces petites choses-là ! Moi qui ai horreur des aiguilles, sortez-moi de là ! Et tous ces bruits partout autour de moi, ça pshhh, ça frrr, ça crrr, j’ai l’impression que plein d’yeux me regardent dans la nuit. Hé, la mouche, va voir ailleurs ! Et toi, l’araignée, itou ! Et ça pue par ici, je ne sais pas ce qu’il y a eu, ça sent la charogne, ça prend les narines, j’en ai presque la nausée… Et tous ces arbres, on dirait des fantômes, avec leurs longues branches comme des bras tendus et des mains aux doigts crochus. Ya des racines partout, des trous en veux-tu en voilà, un vrai labyrinthe de souches. Et je n’y vois rien, avec toutes ces branches basses qui essaient de me décapiter. Sleepy Hollow. Manquerait plus que ça ! Je préfèrerais que ce soit Johnny Depp à ma place… Oui, c’est ça, un film ! Même un film d’horreur, je signe tout de suite. Nothing real. Et quand c’est fini, c’est fini. Retour au réel, à la vie. Quelqu’un va crier « Action », et moi, je vais me mettre à jouer, voilà, c’est ça. Je suis Johnny Depp. Où est mon cheval ?… J’ai entendu un bruit, cette fois tout près de moi, ça me suit, ça se rapproche, et toujours cette odeur de pourriture. Ça vient de la terre… C’est un cauchemar, voilà, c’est ça, c’est un cauchemar, je vais me réveiller, réveillez-moi, pincez-moi ! Ouch. Fucking brambles ! J’ai dit pincer, pas piquer ! Et la lune avec tout ça ? Ah toi, la lune… tu peux faire la fière, bien planquée tout là-haut. Silly moon ! Tu crois que tu vas m’avoir avec ton sourire autosatisfait ? C’est facile de faire la Joconde à presque quatre cent mille bornes : moi aussi, je prendrais de la hauteur à cette distance !! Mais, là, tu vois, je peux pas, alors arrête de me narguer et essaie d’utiliser ta putain de lumière blafarde pour me faire sortir de cet enfer vert. J’ai froid. C’est l’humidité. Comme des milliers de vers de terre gelés qui vous bouffe de l’intérieur. J’ai froid et j’ai faim. Rien à manger dans ce rade paumé. Parce que tu crois que je vais me mettre à bouffer des glands et des insectes ? Tout ça pour que notre planète, elle tourne enfin rond ? Mais ça fait bien longtemps qu’on a tous la tête à l’envers et que la terre, elle, elle est toujours là. Et qu’elle continue de tourner. Moi aussi, j’ai la tête qui tourne. C’est quoi, cette musique tout à coup, ces paroles ? This is the end… Desperately in need…of some…stranger’s hand, In a…desperate land… Oh, my God ! Jesus Christ ! Mal, ça va mal, ça va vraiment très mal… Si la bande-son d’Apocalyse now s’invite dans mon esprit, si la voix suave de Jim Morrison prend possession de mon âme, je suis mal barré… Hé, le chauffeur du bus bleu, t’es là ? If you’re here, come on, come on, please… Don’t leave me here… J’veux pas crever ici ! Et en plus, je déteste le vert !
La nuit s’épaissit avec ses fantômes. Montée en puissance du mystère à travers les résonances multiples… La rupture de ton de « Honni soit qui passe par là » doit-elle se lire comme un ralentissement stratégique de cette montée en puissance ou bien comme une respiration ironique au sein d’une ambiance plutôt angoissante ?
Merci, Claudine, j’aime bien les fantômes et le mystère. Pour ce qui est du petit couplet fredonné, je penche pour une respiration ironique.