Clotilde Barranger et Caroline Boisseleau se sont connues en 1931 à l’école communale « Libotoul », aux Herbiers en Vendée. Elles sont nées le même jour, à la même heure dans la même rue, à deux maisons d’écart; est-ce, ce hasard qui a celé leur amitié indéfectible? Aujourd’hui elles sont toutes les deux âgées de 92 ans, et depuis qu’elles se sont retrouvées, il y a 8 ans, ce qu’elles aiment c’est être ensemble: bavarder, causer, converser, débattre, délibérer, dialoguer, discuter, s’épancher, se livrer, palabrer, se confier.
… Et quand il t’a quittée, alors que vous veniez d’acheter une affaire à la pointe de la Hague ? Tu as réagi comment ? Tu avais plus de 60 ans, non?
Oui, Clotilde, il fallait faire quelque chose, je voulais retourner en mon adolescence, parcourir le monde du Brésil au Groenland, manger du phoque, des feijoadas, du saumon, des empadas. siroter des cafés au whisky à la crème fouettée. Il fallait quitter mon chemin maladroit et boiteux, mes pensées récurrentes :« impossible ici de vivre heureuse ou vertueuse ». Partir, prendre un train, un avion, un bateau, un vélo, un bus. Le revoir timide enlever ses chaussures à l’entrée de la mosquée Sainte Sophie à Istanbul. Me promener seule et sourire aux femmes dans les rues de Marrakech, Casablanca, Rabat, Fès. Revivre un Dimanche de 15 août sur la grande place de Bilbao déserte et ne croiser qu’un chien, un rat, deux oiseaux. Apprendre que Guanacaste est l’une des sept provinces du Costa Rica. Sa capitale est Liberia. Je n’irai pas.
Mais tu es partie quand même, non ? Qu’est ce que tu as fait ?
Le tour du parc des Buttes Chaumont comme une lionne, plusieurs fois par jour.
Tu t’es donc installée à Paris au moment où j’emménageais dans l’Yonne. Nous n’étions pas loin l’une de l’autre. Et c’est à cette époque que tu as été témoin du drame survenu sur l’aire d’autoroute Venoy Soleil Levant ? Un matin sur une photo dans le journal, je t‘ai reconnue au milieu d’un groupe, ils disaient que vous étiez plusieurs à l’intérieur, prés de la machine à café et du rayon des sandwichs lorsque des crissements de pneus, des bruits de Kalachnikov, des cris ont retenti. Je me souviens du gros titre : « Fusillade sur un parking juste au moment où deux jeunes descendaient d’une camionnette, ils étaient au centre d’un règlement de compte, pris entre 2 gangs. En premier, la fille a reçu une balle, elle est tombée à terre puis une rafale a atteint le garçon en pleine tête, il est tombé sur elle. Les tirs se poursuivaient. Une cinquantaine de douilles ont été découvertes sur les lieux. » Après cette lecture je t’ai cherchée, sans relâche toute une année mais sans suite.
Comme c’est étrange Clotilde que tu sois tombée sur cet article. Pendant des mois la nuit comme le jour, je revivais la scène, avec les images, les bruits et les odeurs. J’étais submergée par les émotions. Je m’excluais, je me disais : « Les autres sont au centre de la vie d’ici. Ils prévoient des diners, fixent des rendez-vous, organisent des soirées, des fêtes d’anniversaires surprises, des départs à la retraite bien préparés, tant attendus. Ils se pacsent, divorcent, s’attendent, se détestent. Ils louent des maisons pour les vacances d’hiver, d’été et même les week-end. Ils cuisinent avec ou sans gluten, avec ou sans tofu, écoutent les infos, lisent les journaux, ont des opinions sur tout, font ou ne font plus l’amour, espèrent en demain, envoient des sms, écrivent des chansons, s’essayent à la poésie, et moi je reste là, figée, blottie, recroquevillée et rien ne sera plus jamais comme avant »
Quelle tristesse ma douce Caroline, comment as-tu réussi à guérir ?
Je ne sais pas, mais un matin, apaisée, je me suis réveillée. Plus question de voyage et de bout du monde. Je voulais seulement vivre tranquillement, m’appliquer à bien faire, par toutes petites touches et ne causer de tort à personne.
attachantes ces deux-là… :°))
merci Piero pour ta lecture. T’as vu y en une qui a habité le quartier 🙂
Caroline me rappelle le personnage de la vieille Emily dans Sous la glace de Louise Penny. Elle creuse des figures de l’épiphanie dans ce roman.
merci Emmanuelle et je ne connais Louise Penny, à découvrir…