Je porte la paire de chaussures à talons que m’a offertes mon amant, qui n’était pas encore devenu mon mari enfin nous sommes concubins (un mari c’est quand on est mariés), pas encore passé le cap des formalités juridiques par flemme ou par peur, par principes (et avec un s à principe), bien que financièrement cela semble plus intéressant comme statut (pour lui, pour ses impôts moi j’ai jamais payé d’impôts et au rythme où vont les choses je n’en paierai certainement jamais ce qui en soi commence à me faire flipper, tout du moins à me questionner, avant mes 40 ans j’en tirais une certaine fierté tout du moins je prenais la chose avec nonchalance) après plusieurs années de vie de couple on cherche les avantages là où ils se trouvent, pas qu’il n’y en ait plus il y a toujours le lien à l’autre, mais les débuts, ah ! les débuts (ils peuvent être plus ou moins longs selon les personnes, cela peut aller de quelques heures à quelques mois, voire plusieurs années) c’était notre début, il m’avait accompagné faire les magasins (ce que font parfois les hommes dans les premiers temps pour nous plaire et ce qu’aime encore faire les femmes, les laisser nous accompagner, pour les séduire) on est là à parcourir les allées du magasin, après être passés au moins trois fois dans chaque rayon (déjà que seule c’est la plaie pour trouver chaussures à son pied alors pour tomber d’accord à deux) on passe devant cette paire de bottines, assez originales mais bien trop chères pour mon budget (les deux couplés : cherté et originalité, font d’elles un mauvais achat) une bottine très séduisante mais pas évidente à porter : vernis rouge nervuré de noir, avec un feston de dentelle noire sur le pourtour et un nœud en velours sur le côté extérieur (chic mais pas classique), une demi-bottine dont la tige s’arrête à la malléole, ni assez basse ni assez haute pour être portée aussi bien avec un pantalon qu’avec une jupe (en fonction de ma morphologie de jambe j’entends, cela peut très bien aller à d’autres physionomies), prête à tourner les talons il me dit de l’essayer qu’elles lui plaisent bien ces bottines, et que si je les aime alors cela lui ferait plaisir de me faire plaisir, il me tend la boîte, un 37, je lui prends des mains et la repose presque brusquement (un peu agacée je l’avoue, on aimerait que l’autre connaisse, devine, tout de nous tout de suite, qu’il n’y ait jamais de faux pas) et je cherche un 39 qui s’avère bien trop grand pour mon pied gauche, j’essaie le 38 mais il me serre un peu le pied droit, le gauche lui est à l’aise, commence la valse hésitation, l’argumentation (se faire payer une bottine, même demi-bottines, si chères dans les débuts me semble un peu abuser de l’autre) viennent les refus polis mais pas vivement exprimés pour laisser la porte ouverte à l’acceptation finale et au passage en caisse et pour enfin le passage aux pieds, plus tard bien plus tard car je n’ai dû les porter qu’en de très rares occasions, elles sont quasi neuves, le vernis est toujours éclatant après ces quelques années au placard, enfermées dans le garage (l’humidité, l’obscurité, le délaissement n’ont pas eu raison de leur tenue) sorties pour cette journée d’anniversaire qui ne se prêtait pourtant pas à ce code vestimentaire, un déjeuner qui se prolongerait certainement tard dans la soirée, avec probable promenade dans les chemins de terre aux alentours pour digérer et se dégourdir les jambes d’une station debout prolongée devant la table d’apéro dans le jardin à l’herbe non tondue, je les enfile pourtant ce jour-là, avec un jean clair et serré (moulant selon la mode actuelle, slim comme ils disent) ourlets obligatoires pour mon mètre soixante-trois (les modèles pour le prêt à porter ont les jambes qui filent du sol au plafond) tombant parfaitement au-dessus du liseré de dentelle, pour contrebalancer le trop habillé de la bottine juste un tee-shirt gris un peu lâche (porté sans soutien-gorge parce que je n’en mets jamais) un tee-shirt fétiche que je sors comme une arme fatale d’abord dissimulé sous un pull léger, le mois de juin est plutôt frisquet cette année, l’apéritif a donc été pris à l’intérieur, les garçons ont allumé le barbecue sur le balcon surveillant, tournant les saucisses depuis l’intérieur pour ne pas être trop trempés, les enfants ont été servis les premiers (pour ceux qui avaient répondu à l’appel, qui n’avaient pas déjà le ventre plein de gâteaux apéritifs), et ils sont repartis jouer, courir à l’étage, les adultes ont continué à boire, du canapé ils sont passés autour de la table, sans trop savoir comment le soir est tombé, il a fallu lancer une deuxième tournée de saucisses qui n’avaient pas été toutes mangées le midi, à cause de la pluie il n’y a pas eu de promenade dans les bois, nous avons dansé entre le canapé et la table, un espace exiguë, chacun y allant de son tube pioché sur youtube, j’ai beaucoup dansé, longtemps dansé, sur cette musique espagnole tapant du pied, les talons des bottines martelant le carrelage et tous autour de moi tapant dans leurs mains, m’encourageant d’un regard que je ne captais plus comme en transe.
Merci. Me suis laissé emporter.
Merci Sebastien.
Incroyable tout ce que portent ces bottines vernies ! De la nostalgie autant que de la joie et de la fierté, de la culpabilité, mais aussi du désir, avec sans doute encore un brin de tristesse et même de désespoir. Je suis touchée…
Merci Armelle.