Aussi loin que je me souvienne, aller au cinéma était une fête, une récompense. Depuis notre trou de campagne, avec mon père on préparait cet évènement comme on aurait préparé un mariage. Les programmes n’étaient accessibles qu’en ayant pris la peine d’aller acheter le journal. On le feuilletait. Il fallait bien choisir le film, on n’en verra qu’un seul ce Noel.
Un nouveau cinéma avait été construit en ville, un peu en périphérie, comme si l’on ne pouvait y accéder qu’en entamant un voyage. C’était un engagement, on voyageait jusqu’au cinéma. Pour nous, la route était longue. Le temps d’un premier film, comme une bande annonce, le défilement de paysages derrière la vitre de la voiture qui nous menait, au cinéma. D’ailleurs les bandes annonces, il ne faudrait surtout pas les louper.
Aller voir un film, c’était aussi le plaisir d’acheter le ticket, entourée de toutes ses grandes affiches qui m’impressionnait. Comment une image pouvait être plus grande que moi ? Le cinéma c’était ça, la grandeur. C’était aussi une ambiance. Il y avait tous ces curieux qui allaient partager avec nous ce moment. Ils avaient vu le même programme, ils avaient choisi le même film, le même jour, la même heure.
« Salle 4 », je crois que c’est la plus grande. Je montais les grandes marches, passait la porte et rentrais dans cette salle obscure, où seule de petites lumières nous guidaient. On était arrivé en avance, on avait le choix. La place du milieu, un peu surélevée est toujours la meilleure. Parfois, il y avait un des curieux qui s’assoyait sur le siège devant moi. Alors papa, prenait la pièce que j’avais choisi scrupuleusement, et je prenais la sienne.
Je n’avais pas l’habitude de rester assise pendant plus d’une heure. J’avais toujours envie de faire pipi. Mais je me retenais. Il ne fallait rien louper.
Quand on sortait, il faisait nuit. Je crois que c’était important pour moi. Je me sentais grande d’avoir le doit de vivre une expérience qui se termine à l’heure où d’habitude je dors.
On n’en voyait pas souvent, des films. Dans notre petite maison, on avait un vieil écran. Il prenait la moitié du salon. Le salon n’était pas grand. Papa avait installé une antenne mais pour la régler après un orage, il prenait une échelle et des miroirs. Il les agençait de tel sorte, qu’en haut de son échelle il pouvait voir l’écran qui se reflétait.
Regarder un film était une chance, une fête, un engagement.
Maintenant, à Noël, le rituel se perpétue. Mon père m’appelle. Et, dans sa voix je ressens l’enfance. L’émerveillement n’est pas une question d’âge.