L’Enfant :
Dans un visage si rond, si rose, si tendre, le côté droit plus fort pourtant que le gauche, à peine l’esquisse d’une dissymétrie.
En son for intérieur : un escalier qui descend dans la mer.
Au fond de la salle de classe éclairée par un néon cruel, il ouvre la fenêtre et une à une jette au-dehors toutes les chaises qui sont à sa portée ; on les entend s’écraser un étage plus bas sur le goudron de la cour, leur bruit de métal disloqué rythmant la saccade de son rire.
Je veux apprendre à lire pour savoir quelle lettre forme la cicatrice au-dessus de mon sourcil, je veux apprendre à lire pour tout savoir, je veux apprendre à lire pour lire ce livre dont plus tard je cocherai la page où j’aurai lu cette phrase : « Il n’avait jamais rien vu de plus beau que cette cicatrice ».
Le Vieil Homme :
Comme le drap au matin d’un lit défait par l’amour, des plis fins en désordre sous son œil qui se souvient.
En son for intérieur : un désert lointain dans une lumière de plâtre, et son frère enfoui dans le sable jusqu’à la taille, hurlant des mots silencieux.
Il revient du turbin, descend de sa mobylette, ouvre les sacoches et y range les gants de cuir et les lunettes, ôte son casque qu’il pose sur l’établi, il traverse le garage de son pas que les espadrilles rendent élastique et silencieux, du bout des doigts il caresse les veines de l’étagère en chêne, encore quelques coups de ponçage et ce sera fini.
Les cheveux longs passe encore, c’est sale quand même, et puis on ne sait plus qui est garçon et qui est fille, enfin bon, mais les seins nus, alors ça, le monokini, toutes ces plages envahies de seins, plus rien de caché, ça laisse à désirer ; allons, allons, vieux bougon, avoue que tu ne rechignes pas à lorgner les rondes bosses.
La Femme-Fille :
A la commissure des lèvres comme au coin des yeux comme au creux des joues, une ligne de fuite.
En son for intérieur : un grand échassier blanc secouant ses ailes souillées de la boue des folies.
Elle l’arrête en pleine phrase, « attends, attends », un grand rire, elle traverse la route pour rejoindre le rond-point où elle cueille quelques fleurs, elle revient, offre son bouquet à l’inconnu qu’elle a trouvé sympathique et qui la violera.
Moi je voudrais que mes bras poussent et s’allongent, s’allongent, vous comprenez ?, ce ne serait plus des bras mais des branches, vous voyez, des branches, des branches immenses, ou bien des algues, oui des algues, comme les plis de mon cerveau vous voyez, ou non, des algues-branches plutôt, oui, c’est ça, des algues branches qui fendraient la mer et le ciel et alors moi, mon cerveau, non, mon corps, oui tout mon corps, le cerveau c’est du corps, non ?, alors on recevrait la sève et le suc et le sel du ciel et de la mer par ces algues-branches.